Le recours à un prêt du Fonds monétaire international (FMI) n’était aucunement une nécessité pour la Tunisie et les «mesures douloureuses», dont nous menace Marouane Abassi du haut de très son gros salaire de gouverneur de la Banque centrale, auraient été encore moins indispensables, si on avait un vrai Etat et de vrais hommes (et femmes) d’Etat capables d’exploiter convenablement les ressources du pays. Les bras cassés ne peuvent réaliser des miracles. (Illustration: palais du gouvernement à la Kasbah, Tunis.)
Par Mounir Chebil *
De hautes sommités de l’Etat ont mené depuis plus d’une année des négociations avec le FMI pour obtenir un crédit susceptible de résoudre le déficit budgétaire du pays ainsi que son déséquilibre financier et pour lui permettre d’engager les réformes structurelles susceptibles de le faire sortir de la crise dans laquelle il est embourbé. Du moins, c’est ce que nos éminents dirigeants nous ont fait comprendre.
Depuis dix huit mois qu’Ommi Sissi posait ses conditions au chat pour consentir à lui recoudre la queue.
Enfin, après des réunions marathoniennes, des missions à Washington qui ont coûté la peau des fesses aux contribuables tunisiens, ces sommités ont arraché un accord de principe pour le déblocage d’un crédit de 1,9 milliard de dollars. Une pisse de chat par rapport au 4 milliards de dollars initialement demandés et, surtout, aux besoins de financement extérieur de l’Etat tunisien.
On peut, à la rigueur, être reconnaissant aux services de l’Etat qui ont été impliqués dans les négociations pour les efforts consentis. Mais on ne peut se taire devant le mutisme dans lequel nos respectueux demandeurs d’aumônes se sont cloîtrés. A leur retour de Washington, ils n’ont pas donné de détails ni sur la teneur de l’accord de principe consenti par la commission technique du FMI, ni sur ses modalités.
Le couteau sur la gorge
A ce jour, le contribuable ne sait pas dans quelle galère il a été embarqué. Juste le grand manitou de la Banque centrale (Marouane Abassi) a déclaré à Sfax lors d’une réunion avec les commissaires aux comptes, que, les Tunisiens doivent s’attendre à des mesures très douloureuses, comme si le Tunisien vit actuellement dans l’opulence.
Mais, toute la question est de savoir si nous avions vraiment besoin de cette aumône et si le gouvernement était assez costaud pour tenir le taureau de la crise par les cornes. La réponse est malheureusement non, car si c’était le cas, on n’en serait pas arrivé là, avec le couteau sur la gorge.
Certes, après la décennie de saccage berbéro-hilalien, le pays est confronté à plusieurs chantiers qui nécessitent des interventions chirurgicales lourdes outrepassant les compétences des «responsables» en place. Nous avions donc espéré voir s’installer aux commandes un gouvernement de guerre, constitué de personnes de haute compétence et imbus du sens de l’Etat.
Nous nous attendions à des sacrifices mais, nous espérions voir, en contrepartie, au moins les signes de décollage vers des jours meilleurs dans de brefs délais. Seulement, celui qui a pris les rênes du pouvoir dans ce pays n’a jamais connu de chantiers. Il était toujours dans les classes à paraphraser des textes de loi et il ne fait, actuellement, que nous gaver de décrets loi. Ses assistants rechignent aux poussières des chantiers qui saliraient leurs chaussures.
Les chantiers sont donc restés ouverts. Pour les entamer, ils se sont empressés de frapper à la porte de la Commission financière internationale, car c’était plus simple pour ces impotents de recourir à l’emprunt que de créer les richesses susceptibles de relancer la dynamique économique. Ils ne savent pas, les pauvres chéris, que la Tunisie possède malgré tout des richesses pouvant être mobilisées à court terme pour financer au moins une partie non négligeable d’une stratégie de relance conséquente et de parer au plus urgent.
Les trois principales sources de richesse
L’économie tunisienne repose sur trois secteurs, le phosphate, le tourisme et l’agriculture. Ces trois secteurs peuvent être dégrippés et huilés rapidement pour mettre la machine économique sur les rails.
Pour le tourisme, il est à rappeler que ce secteur contribuait en 2010 à hauteur de 7% au PIB et générait chaque année entre 18% et 20% des recettes en devises. Il couvrait 56% du déficit commercial et employait d’une manière directe et indirecte plus d’un million de personnes.
Certes, à la gabegie révolutionnaire s’est greffée la crise du Covid qui a touché le secteur partout dans le monde, mais, s’est-on préparé à l’avance pour l’après Covid ? Non, bien sûr. On s’est contenté de prendre cette crise sanitaire comme un alibi pour roupiller. Or, il fallait une diplomatie dynamique et entreprenante, ainsi qu’une politique commerciale agressive pour mettre en valeur notre potentiel, la richesse de notre histoire et de notre patrimoine pour préparer la reprise.
La guerre actuelle en Ukraine n’est pas une raison pour justifier l’inertie du ministère du Tourisme qui doit, en principe, doubler d’effort pour diversifier le produit, imposer les législations adéquates et conquérir les marchés.
Durant l’époque de Bourguiba à celle de Ben Ali, la Tunisie a pu réaliser 250 000 lits en plus de toutes les infrastructures attenantes. Le patrimoine millénaire est là. Que reste-t-il à faire ? Non un prêt du FMI qui sera dépensé en salaires et frais de gestion, mais le travail des hommes, pas plus. Seulement les hommes sont frappés de léthargie et d’amnésie. Plus peinard que moi, tu meurs. Notre diplomatie est plus que défaillante et notre image est gravement ternie, de quel tourisme peut on parler ?
Pour le secteur du phosphate, le potentiel estimé en 2010 était de 10 millions de tonnes par an. Fin 2010, la Tunisie a produit avec 9000 employés 8,2 millions de tonnes de phosphate qui représentait 4% du PIB et 10% des exportations du pays et je m’abstiens de révéler les fonds de la CPG et du GCT, les deux entreprises publiques exploitant le phosphate, qui étaient en dépôt dans les banques. La Tunisie était alors placée au 5e rang mondial des producteurs de phosphate et était, bon an mal an, classée première ou deuxième exportateur mondial de ce produit.
Une décennie de laisser-aller et de laxisme
Après 2010 et depuis la ruée hilalienne, la Tunisie n’a pas produit plus que 3 millions de tonnes par an, perdant par voie de conséquence ses marchés extérieurs et privant le pays des entrées en devises. Pour justifier cette catastrophe, qu’est ce qu’on nous dit. Il y a surtout quelques voyous qui bloquent l’entrée aux mines pour protester contre le chômage, empêchant les ouvriers de travailler. Quand ces énergumènes décident de se reposer et que le train achemine le minerai à Gabès, il y a d’autres énergumènes à Menzel Bouzaïane qui bloquent le passage du train. Quand tout est tranquille, il y a la grève chez les ouvriers. La chaîne de production de Redeyef et celle d’Om Larayes sont presque à l’arrêt tout au long de l’année. Les employés sont payés et la prime de rendement servie. Quand le travail reprend, c’est le laxisme, le sabotage et le vol.
Une décennie de laisser-aller et un laxisme observé par tout le monde, et qui continuent à sévir même après le 25 juillet 2021, sous prétexte de préservation de la paix sociale et de respect des droits de l’homme… à foutre la merde partout, conduisant ainsi à un sentiment d’impunité, encouragé par le slogan présidentiel «Echaab yourid» (C’est le peuple qui veut).
L’Etat est à l’abandon, et il est pris en otage par des saboteurs qui doivent être traités, sans scrupule aucun, comme des terroristes. Aucun Etat qui se respecte ne permet qu’une poignée d’énergumènes puisse affamer un peuple.
Au lieu d’aller au FMI, mettez de l’ordre par tous les moyens dans le bassin minier. Là aussi, il y a de l’argent, surtout que le cours du phosphate est en hausse. Malheureusement, il n’y a pas les hommes capables de donner un coup de pied dans la fourmilière.
Pour ce qui est de l’agriculture, là aussi il y a de l’argent à gagner et de l’argent à économiser et à court terme. Ce volet mérite un développement à part vu son importance. Peut-être un article lui sera-t-il consacré.
Donc, le FMI n’est pas une fatalité et les mesures douloureuses dont nous menace le grand manitou Marouane Abassi auraient bien pu être évitées.
* Ancien cadre de l’Etat à la retraite.
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