La Tunisie affiche un taux de participation aux législatives historiquement bas. De quoi invalider ces élections. C’est un désaveu personnel au pouvoir autoritaire de Kaïs Saïed. L’opposition demande son départ et l’organisation de nouvelles élections. Saïed va rapidement nommer un nouveau gouvernement à vocation économique. Histoire de détourner l’attention et d’initier un vrai faux nouveau départ… (Le 17 décembre, Saïed sonne la mobilisation pour les législatives. Le peuple a répondu absent).
Par Moktar Lamari *
C’est ce que nous apprennent des sources de veille politique à New York. La suite du texte résume le bulletin de veille diffusé hier soir auprès des opérateurs économiques internationaux concernés par la Tunisie.
1- Le 17 décembre, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) de la Tunisie, qui supervise les élections, a déclaré que seulement 8,8% des électeurs inscrits avaient participé aux élections législatives. Malgré les résultats, nous nous attendons à ce que le président, Kaïs Saïed, dépeigne l’élection d’un nouveau parlement comme une victoire et qu’il avance avec son objectif de renforcer le régime présidentiel.
2- Bien que les résultats finaux ne soient pas annoncés avant janvier 2023, le niveau record du vote a été un puissant camouflet au projet politique de M. Saïed. Avec un taux de participation de seulement 8,8%, on comprend que 91% des électeurs inscrits ont boudé la votation.
3- Ce flop électoral discrédite le président Kaïs Saïed et met en question la légitimité de ses pouvoirs. L’opposition appelle déjà à sa démission et à une élection présidentielle. Compte tenu des actions du président depuis qu’il a dissout le parlement en 2021, on s’attend à ce que les tensions sociales s’intensifient, rendant impossible la finalisation de l’accord prémilitaire avec le FMI.
4- L’UGTT va sortir de sa réserve, haussant le niveau de pression sur le président Kaïs Saïed, de plus en plus discrédité et décrié par la Tunisiens. Les risques d’affrontement et de contestation se multiplieront, dans le sillage de l’installation du nouveau parlement. Une opposition galvanisée prendra les devants du mécontentement social croissant. Même si cette opposition est fractionnée, divisée et sans leadership fédérateur.
5- Deux jours après le vote, Maher Jedidi, le vice-président de l’Isie, a déclaré que le nouveau parlement serait installé en mars 2023, indépendamment des résultats des élections.
6- Le président tentera de noyer la sanction et de s’en laver les mains, comme à son habitude. Il expliquera le faible taux de participation par une crise du parlementarisme en Tunisie et accusera toujours ses prédécesseurs. Il refusera de reconnaître le rejet de son propre régime.
7- Un nouveau gouvernement sera nommé par M. Saïed, histoire de détourner l’attention et d’annoncer un nouveau départ à vocation dominée par l’économique. Des noms circulent et des consultations internationales sont déjà à l’œuvre pour choisir le chef du gouvernement à venir dans les prochaines semaines,
8- Aux côtés de l’opposition nationale, la pression internationale sur M. Saïed augmentera également. Le gouvernement américain a publié une déclaration à la suite des résultats initiaux, encourageant le président tunisien à élargir la participation politique au cours des prochains mois.
9- Le président Saïed va être obligé de facto d’élargir le cercle des partis d’opposition avec qui il va négocier les réformes économiques et sociales. Reste à savoir si le résultat électoral le forcera à parvenir à un quelconque consensus avec les forces d’opposition, mais cela semble peu probable compte tenu de la relation tendue qu’il entretient avec la plupart des acteurs politiques tunisiens.
10- Dans ces conditions, l’instabilité politique augmentera parallèlement, aggravant la crise économique en cours. La récente décision du FMI de retarder la discussion du conseil d’administration sur un programme de prêt de 1,9 milliard de dollars américains dont la Tunisie a besoin expose davantage le pays à des pressions continues sur la balance des paiements et à l’augmentation de l’inflation.
11- Sans un accord avec le FMI, le pays sera contraint prochainement d’annoncer officiellement qu’il est en cessation de paiement. Le dinar chutera drastiquement et le scénario libanais risque de se reproduire en Tunisie. Les agences de notation vont avertir le gouvernement tunisien, avant de dégrader encore une fois la cote de crédit du pays, faisant flamber les taux d’intérêt exigés de la Tunisie pour d’éventuels prêts. Le passage par le Club de Paris n’est plus une option, mais une condition pour aider à stabiliser les finances publiques.
12- La faible participation aux élections législatives renforcera l’opposition contre M. Saïed en 2023, en particulier des partis politiques mis à l’écart et d’une UGTT de plus en plus hostile.
13- On s’attend à ce la nomination d’un nouveau gouvernement de technocrates aient lieu rapidement et précèdera l’investiture du nouveau parlement.
Ce faisant, les forces de l’opposition renforcent les efforts pour dépeindre M. Saïed comme un président illégitime, autoritaire et incompétent. Tous vont organiser les manifestations de rue contre son règne, ce qui augmentera les risques politiques et opérationnels.
* Economiste universitaire au Canada.
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