Pour Kaïs Saïed, il n’y a pas de crise des finances publiques, ni de déficit budgétaire, ni d’inflation, ni… Et ses collaborateurs semblent lui cacher la réalité, sinon comment expliquer ses déclarations complètement surréalistes sur l’état de l’économie, et qu’il fait souvent en leur présence ?
Par Ridha Kefi
Nous nous sommes posé une nouvelle fois cette question en lisant le communiqué publié par la présidence de la république à l’issue de la réunion, hier, vendredi 30 décembre 2022, au Palais de Carthage, entre le président de la république, la cheffe du gouvernement Najla Bouden, la ministre de la Justice Leila Jaffel et le ministre de l’Intérieur, et Taoufik Charfeddine.
«La réunion a porté sur la situation générale dans le pays, et en particulier la nécessité de fournir les produits de base aux citoyens», indique le communiqué, sachant que le pays souffre, depuis plusieurs mois, de pénuries de toutes sortes (médicaments, lait, sucre, café, etc.), ainsi que de fortes hausses des prix dont se plaignent les citoyens. Et cela, ces dames et messieurs le savent bien, puisque les médias en parlent tous les jours, en donnant la parole aux professionnels des diverses filières, aux experts économiques et aux consommateurs.
L’économie vue par Saïed
Ce qui surprend dans ce contexte c’est de voir le président de la république souligner «la nécessité de subvenir aux besoins des citoyens parce que le défi le plus important est économique et social», comme le précise le communiqué, en ajoutant que «les prix élevés, le manque de certains produit de base et la fabrication des crises sont des pratiques connues de tous et qui ne peuvent pas continuer.»
Le président de la république, qui semble justifier les pénuries, non pas par les difficultés financières de l’Etat, qui n’arrive plus à importer certaines produits de première nécessité parce que leur prix a beaucoup augmenté sur le marché mondial ou qu’il ne trouve pas de solutions aux problèmes des filières faisant face à de gros problèmes, mais par des complots ourdis par des personnes qui «fabriquent des crises». Et ce sont ces soi-disant «spéculateurs» que le chef de l’Etat voudrait sanctionner par «l’application de la loi à tous sur un pied d’égalité», en insistant sur «le rôle que doivent jouer tous les organes de l’État, notamment celui dévolu au pouvoir judiciaire, car sans un pouvoir judiciaire équitable, aucun des objectifs du peuple tunisien ne peut être atteint, notamment celui d’une vie digne où la justice prévaut et où toutes les causes de la pauvreté et de l’injustice sont abolies».
Voilà pour la littérature présidentielle, il n’en reste pas moins qu’elle suscite un certain nombreux d’interrogations.
D’abord, pour parler des «besoins des citoyens» et de la «nécessité d’y subvenir», n’aurait-il pas été plus logique et plus judicieux que le président Saïed s’entretienne des problèmes de l’approvisionnement du marché, des pénuries et des hausses des prix avec les ministres des Finances, de l’Economie, du Commerce, de l’Industrie, de l’Agriculture, du Transport voire même de la Santé (en ce qui concerne les médicaments) ? Car, que peuvent faire les ministres de… la Justice et de l’Intérieur (auxquels le président de la république aurait bien pu joindre, tant qu’il y était, celui de la Défense) pour régler des problèmes liés au financement, à la production et à la distribution ?
Question de bon sens
On a de la peine à suivre la logique présidentielle et sa manière «très originale» de gérer les problèmes de la nation, en en niant d’abord l’existence (il n’y a pas de pénuries !), puis en voulant les régler par les moyens les moins appropriés (en punissant ceux qui font disparaître les produits du marché !). Et c’est là où le bât blesse, car personne, parmi ces chers ministres, qui se demandent pourtant ce qu’ils font là pour parler de ce qui ne les regarde pas, ne sent la nécessité d’éclairer le président sur les causes réelles des pénuries et lui éviter ainsi de dire des choses imprécises voire parfois insensées.
On sait que le président Saïed n’est pas à l’aise avec l’économie et qu’il préfère, par déformation professionnelle, l’approcher par le biais des lois, mais tout de même ! Un chef d’Etat qui, comme lui, accapare tous les pouvoirs, est censé également s’occuper des choses aussi triviales que la finance, l’économie, la production, la distribution, l’argent, les pommes de terre ou les oranges, car ces sujets sont très importants pour ses électeurs. Et quel que soit l’impact de la spéculation sur les pénuries et les hausses des prix, ce ne sont ni les lois ni les juges ni les policiers qui vont régler ces problèmes. C’est une question de simple bon sens…
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