La polémique et le faux débat sur la couleur de peau du général carthaginois Hannibal participent d’un racisme de l’ignorance, allié au colonialisme et à un élitisme nostalgique d’époques révolues. (Illustration : Statue de Hannibal au musée du Louvre / Représentation moderne de la bataille de Cannes contre les Romains).
Par Dr Mounir Hanablia *
Selon des médias français, une pétition circulerait dans notre pays demandant l’interdiction de tournage en Tunisie du film Hannibal avec l’Afro-américain Denzel Washington dans le rôle du héros Carthaginois. L’affaire aurait pris de l’importance au point de pousser certains de nos députés inquiets du «centrisme africain» dont selon eux notre pays serait menacé, à interpeller la ministre des Affaires culturelles sur le sujet.
Evidemment, ce genre d’informations véhiculées par des journalistes dont l’objectivité n’est pas la qualité première, doit toujours être examiné avec précaution. Ainsi Hannibal s’est même vu dénier tout lien avec la Tunisie, ses origines libanaises, autrement dit phéniciennes et par voie de conséquences sémitiques (!!!), étant mises en exergue.
Qu’importe ! toute polémique sur le sujet aboutirait fatalement à ne voir en Napoléon Bonaparte qu’un général Corse, ce qui n’avancerait guère le débat.
Le problème est intrinsèque à l’accusation de racisme et de mépris de la culture africaine dont notre pays fait l’objet des suites de l’immigration subsaharienne massive en direction de l’Europe qui le traverse. On tente ainsi implicitement d’opposer les Africains, les habitants véritables du pays selon les normes européennes, aux arabo-musulmans envahisseurs, définis comme étrangers au continent, et esclavagistes.
La «tunisianité» d’Hannibal ne saurait être remise en question
Mais de quelle couleur fut Hannibal? D’abord il ne fut pas phénicien mais punique, ce qui relativise déjà l’origine «libanaise» dont on l’a affublé, puisque les Puniques sont ces colons phéniciens qui se sont ethniquement, socialement, religieusement et culturellement mêlés aux populations libyennes sur toute la côte est de l’actuel Maghreb qui correspond à la Tunisie et une partie de la Libye actuelles, où ils ont fondé le premier Etat à vocation universelle, Carthage. Il était donc utile de le préciser puisqu’on conteste la tunisianité d’Hannibal, issu de l’une des plus grandes familles puniques, les Barca.
Les Puniques furent-ils de grands guerriers blonds? Assurément pas. Les Romains ne les ont jamais décrits ainsi. Furent-ils semblables aux Grecs et aux Latins, des blancs aux cheveux noirs? J’ignore ce qu’en ont dit des auteurs grecs comme Hérodote ou latins comme Thucydide, mais il semble que pour les uns et les autres les Puniques aient représenté l’altérité absolue, celle qui les menaçait dans leur être, leur civilisation et leur existence. Pourtant sur le plan politique Carthage fonctionnait comme une quelconque cité grecque, avec un conseil de notables comme organe législatif, et des suffètes pour l’exécutif. La menace n’était donc pas politique, et il faut d’autant plus le souligner que les Grecs quand ils se sont battus contre Rome n’ont jamais eu l’impression d’être menacés d’extinction, contrairement à ceux de Sicile qui contre Carthage ont été prêts à requérir l’aide d’étrangers, en l’occurrence les Romains, dont ils se sentaient plus proches.
Y avait-il ainsi un antisémitisme latent chez les Gréco-romains dès le 3e siècle avant l’ère universelle? Il est difficile de le dire, mais il faut considérer que les Puniques représentaient les métèques, autrement dit les gens qui chez les Grecs étaient souvent des esclaves, prisonniers de guerre ou pas, et qui se situaient au bas de l’échelle sociale.
Afin de comparer ce qui est comparable, il faut en revenir aux Aryens, ces peuples nomades blonds à la peau claire de l’Ukraine et du nord de la Caspienne dont les uns ont migré vers l’Ouest pour donner les Gréco-latins, les Slaves et les Germains, et les autres ont franchi les montagnes du Caucase et de l’Afghanistan et constitué les Indo-iraniens ou Indo-aryens. Ces origines communes sont attestées par l’étude comparative des langues qui mettent en évidence des racines identiques de plusieurs mots. Mais le plus intéressant est que les Indo-iraniens et les Grecs possédaient des religions et des organisations sociales très proches.
Le système des castes hindou actuel basé sur la couleur de la peau, et qui situe les shudra à la peau sombre au bas de l’échelle sociale, constitue un reflet sans doute fidèle de l’ordre social exclusif qui régnait dans les cités grecques, foncièrement raciste.
Métissage des populations en Afrique du Nord
Dans ces conditions, la peur et le mépris du Punique, son altérité hostile, se situeraient autant dans sa puissance militaire que dans la couleur sombre de sa peau. Tout comme son voisin numide, dont il n’était guère différencié, le Punique avait donc forcément la peau sombre. Cette couleur était-elle liée à un métissage avec les populations subsahariennes? Il est hautement probable que les échanges entre le nord et le sud du Sahara aient été de tous temps intenses. L’usage d’éléphants de guerre africains par les armées carthaginoises en est d’ailleurs l’une des preuves. L’existence de dynasties de pharaons noires originaires de Nubie constitue un autre indice du métissage des populations en Afrique du Nord et qui touchait la civilisation la plus prestigieuse d’entre toutes, celle de l’Egypte. Les Touaregs du Mali et de l’Algérie, les Toubous du Tchad, et les populations du sud marocain et du Sahara occidental constituent la preuve vivante actuelle de ce métissage.
Pour en revenir à Hannibal, en l’absence de toute représentation physique de l’époque, il n’y aurait donc aucun scandale à le considérer comme un homme à la peau brune avec les cheveux frisés ou crépus, et même comme un métis, tout comme l’est une grande partie, sinon la majeure partie, de la population actuelle de notre pays.
Et donc que le personnage d’Hannibal soit joué dans un film par l’acteur noir américain Denzel Washington devrait d’autant moins choquer que l’Islam, qui constitue toujours notre part de l’universel, ne peut pas être accusé de racisme, et que la société dont le Coran se fait le reflet, celle du Hedjaz et du Yémen du VIIe siècle, était fondamentalement multiculturelle, soumise entre autres aux influences éthiopiennes et africaines (les gens de l’éléphant, des mots comme Jibt et Taghout).
Pour conclure, il y a un non sens à considérer qu’Hannibal fut un crypto-juif ainsi qu’on a voulu le dépeindre. Il fut cependant ce génie militaire issu d’une société multiculturelle et multiraciale incluant une part africaine importante, dont l’armée inspirait la terreur au nord de la Méditerranée autant par ses vertus militaires que par la peau basanée de ses soldats. Et étant issu de ce creuset multi-civilisationnel, africain, libyen (berbère), phénicien, il fut bien un Tunisien avant l’heure. Que sa mémoire continue de déranger ainsi les tenants de la «blancheur» de notre pays a de quoi étonner au moment où en Europe, le racisme fait florès.
Il y a un racisme de l’ignorance allié au colonialisme et à un élitisme nostalgique d’époques révolues, c’est bien de cela que cette polémique et ce faux débat témoignent certainement.
* Médecin de libre pratique.
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