Le poème du dimanche : ‘‘Le livre de l’eau, le livre de la braise’’ de Mohamed Ghozzi

Mohamed Ghozzi, l’une des voix majeures de la poésie tunisienne, vient de s’éteindre dans la tristesse et la peine, laissant une œuvre profonde, quête intérieure, mêlant réel et imaginaire, vérité et métaphore, songe et vision, murmure et soubresaut, quiétude et douleur.

Né le 24 février 1949 à Kairouan et mort jeudi dernier, 18 janvier 2024, son écriture revisite le soufisme, modernisant ses thèmes, lui donnant un souffle présent, dans la beauté du monde et ses retors.

Je voudrais ici reprendre des poèmes que j’ai traduits de lui pour la revue Europe consacrée à «Littérature de Tunisie», parue, en 1987.

Les éditions Al Manar, à Paris, ont publié en 2023 de Mohamed Ghozzi, “J’entends gronder les rivières” dans une traduction française d’Antoine Jockey.

A sa famille et ses proches, mes condoléances et celles de l’équipe de Kapitalis. A la famille culturelle de notre pays et à nos compatriotes, toutes mes pensées fraternelles.

Tahar Bekri

Hiver

La terre manque à son printemps
Ni herbe à la surface ni mouette sur l’eau
La dernière femme revint de la maison des sources
Ni bracelet dans les mains ni henné sur les paumes
Ni santal dans les braseros allumés
Ouvre donc le royaume de l’âme et dis :
O terre ! O plaines ! O chevaux rentrez !
Toutes ces saisons se serrent dans mon sang

Au vent

Au vent ma fenêtre mon lampadaire et les ornements
De notre vieille maison
Au vent la voix de mon père les habits de mon enfance

Et les poupées de roseau frêle
Au vent toutes mes fortunes
Au vent mes poissons mon fil et le tremblement de mes doigts
Au vent les cloches des chevaux
Les enjolivures de henné sur les mains des femmes
Au vent le cimetière des rois
Les flambeaux des prieurs au-dessus des minarets
De l’aube lointaine
Au vent le chant de deuil sur les chemins de notre demeure
Au vent la course des étoiles
Et le halo de la vieille lune

Etoile

Prends ton pinceau cette nuit
Et dessine ton étoile lumineuse
Puis va dormir
Des ailes pousseront à l’étoile
Et quitteront à l’aube la blancheur de la feuille

La plume

Prends une plume entre tes doigts tremblants
Et sois sûr
Que l’univers est un papillon bleu
Et que les mots lui sont des filets

Traduits de l’arabe par Tahar Bekri

Extraits de ‘‘Kitab al-ma’, kitab al-jamr’’ (Le livre de l’eau, le livre de la braise), éd. Demeter, 1982.

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