Euro 2024 et élections législatives en France : Racisme, football et politique

La moitié des Français a voté pour l’extrême droite raciste et xénophobe, alors qu’au même moment, leur équipe nationale de football, qui était composée essentiellement de joueurs d’origines étrangères, Africains dans leur majorité, se battait pour gagner la coupe… d’Europe ! C’est une coïncidence du calendrier, mais qui est chargée de sens. Voici des éléments d’analyse de ce qui peut paraître comme étant une contradiction, mais qui dans le fond n’en n’est pas une.

Mahmoud Gabsi

«Euro 2024 : l’équipe de France rattrapée par l’enjeu des élections législatives : Les premiers joueurs interrogés avaient écarté le sujet, soucieux de ne pas parasiter leur préparation. Mais, jeudi, Ousmane Dembélé a lancé un appel au vote. Les Bleus auront la possibilité de faire une procuration», écrivait Le Monde.

La coupe d’Europe s’est déroulée en Allemagne du 14 juin au 14 juillet. L’équipe de France était composée de 25 joueurs, dont 19 étaient noirs. Les autres : 1 Espagnol, 1 Portugais et 1 Italien. Seuls 3 joueurs semblaient être nés de parents français.

Ces étrangers qui étaient ultra majoritaires ont vécu l’ambiance nauséabonde qui a régné lors des élections européennes du 9 juin, qui ont donné les résultats suivants:

– Rassemblement national (Marine Le Pen) : 31% + Reconquête (Marion Maréchal Le Pen) 5% = 36%. Ces deux listes représentent l’extrême droite française, raciste, xénophobe, identitaire et nationaliste chauvine.

– Les partis Ensemble : 14% + Les Républicains 7% = 21%. Ils représentent un spectre politique allant des pseudo-socio-libéraux à la droite classique.

Ces derniers partis ont repris à maintes reprises les thèses de l’extrême droite. Ils ont fait à l’assemblée nationale des propositions dans ce sens et voté des lois sur l’asile, l’immigration, la nationalité et la sécurité proches des thèses d’extrême droite, et ils étaient sur le point de s’attaquer aux chômeurs et aux retraités… Additionnés, les résultats de ces deux ensembles dépassent les 58%.

A l’aune de ce scrutin, plus d’un Français sur deux adhère à l’idéologie raciste. C’est ce que certains nomment la lepénisation réussie des esprits.

Lors des élections législatives du 29 juin et du 6 juillet 2024, certaines formations politiques ont changé de nom, d’autres sont nées, mais dans leur ensemble, les résultats sont conformes à ceux des élections européennes : plus d’un Français sur deux a voté pour l’extrême droite classique ou pour ses variantes citées. Ces dernières appliquent son idéologie et reproduisent son discours sans toutefois oser le déclarer ouvertement. De ce fait, un descendant de Voltaire et de Rousseau sur deux n’a pas honte d’afficher son racisme par le biais des urnes.

Les thèses de l’extrême droite française 

Les thèses inamovibles de l’extrême droite sont le nationalisme chauvin, la xénophobie, le racisme, la haine du juif, la haine de l’Arabe et du musulman, l’europhobie, le complotisme, l’autoritarisme, le colonialisme, le mépris pour la démocratie et pour les institutions…

Par ailleurs, l’irruption récente du philosémitisme chez les Lepénistes étonne et interroge. Edouard Drumont, Lucien Rebatet et Maurice Barrès font partie des intellectuels antisémites français qui se comptent par centaines. Avec les racialistes, ces derniers continuent à nourrir et pour longtemps les esprits.

En 1890, dans «Le Juif, voilà notre ennemi !», un appel aux catholiques, le docteur Martinez, un théologien français, a accusé les Juifs de détruire le catholicisme car ils dominaient la finance et la presse.

La récente théorie du remplacement, le péril culturel, la guerre des civilisations, l’islamophobie et l’arabophobie ne sont que les sécrétions de cette littérature nauséabonde qui a produit les nouveaux «intellectuels» extrémistes français qui saturent les médias.

Pourquoi l’Euro 2024 aurait-il été particulier, voire unique ?

Pourquoi une compétition sportive européenne dans laquelle la France est représentée majoritairement par des étrangers et qui a coïncidé avec deux scrutins, l’un national, l’autre européen est-elle susceptible de nous informer sur la mentalité des Français actuels ?

Cette compétition entrera dans l’histoire, car au même moment où des joueurs d’origine étrangère défendaient les couleurs d’un pays qui n’était pas à l’origine le leur, et dans un sport dit «roi», le football, la majorité d’un peuple qui était supposé les encourager a voté pour des partis politiques racistes censés les exclure d’une manière ou d’une autre.

D’où la question : quelle est la nature du pacte social que les Français sont en train d’instaurer ? Que cache t-il ?

L’abord du sujet est difficile. Comment établir des causalités contemporaines sur un sujet aussi confus et diffus que l’ingratitude populaire du catholique blanc majoritaire envers les minorités non européennes qui l’ont défendu lui et ses intérêts depuis des siècles ?

Les minorités en France sont racisées depuis toujours. Les manifestations de la ségrégation au quotidien sont nombreuses. Elles sont même devenues banales. Sur des chaînes de télévision telles CNEWS, BFM et LCI, une surenchère est même en cours : qui diffuse le plus d’émissions à caractère raciste et xénophobe. Récemment le recteur de la mosquée de Paris a déclaré qu’il avait peur pour ses enfants.

Dans ce sillage, les guerres coloniales font irruption. Des milliers d’Arabes, de Noirs et d’Asiatiques se sont depuis toujours battus pour la France. La tradition est de les récompenser par le mépris et l’oubli. Quid de la légion étrangère ? Serait-elle composée de bons étrangers parce qu’ils vont jusqu’à mourir pour la France ? Voilà une bonne question pour les nationalistes xénophobes.

Cette équipe de France très colorée symbolise plusieurs choses. Elle représente d’abord le multiculturalisme. Il n’y a pas une France, mais plusieurs. Elle démontre que les étrangers sont utiles pour le pays et qu’ils sont dans certains cas plus performants que la majorité blanche et judéo-chrétienne. Enfin, elle rappelle un fait : sur tous les plans, le pays a été construit en grande partie par des étrangers qui sont devenus au fil du temps des Français.

Le sens destructeur d’un vote 

«Entre l’équipe de France de football et l’extrême droite, trois décennies d’attaques et de ripostes : Marcus Thuram et Kylian Mbappé ont pris la parole pour exprimer leur préoccupation face au contexte électoral avant d’entrer en lice à l’Euro. Des propos qui s’inscrivent dans l’histoire longue des relations entre les Bleus et le Front national, devenu Rassemblement national ». (Le Monde).

L’idéologie de l’extrême droite et de ses alliés est une négation de ces gamins qui sortent à peine de l’adolescence. Le fait de voter RN et alliés, alors que des sportifs étrangers se battaient sur un terrain pour la France est en soi un acte d’ingratitude. C’est un geste hostile envers leurs parents, leurs frères et sœurs, mais aussi en direction de leurs nombreux voisins. La grosse majorité de ces jeunes sont issus des banlieues qui sont habitées en grande partie par des étrangers. De ce fait, c’est aussi un rejet de l’univers culturel et social duquel ils sont issus. Ce vote punitif est une insulte à ce qu’ils sont au plus profond de leur être : des Français, mais différents de la majorité des Français.

Le mépris des étrangers et des pauvres est profondément enraciné. Le discours général qui a été construit depuis des décennies sur les habitants des banlieues fait de ces derniers une sous-humanité plutôt que des citoyens ordinaires. Et rien n’indique que cela va s’améliorer.

Un vote contradictoire ?

1 – C’est une contradiction dans le sens où on renie la composition multiculturelle du pays qui est constitutive de son identité actuelle. Plus d’un tiers des Français au moins ont un grand-père qui est né à l’étranger. Et pourtant, les médias continuent d’exclure tout ce qui est divers culturellement et biologiquement.

2 – Ce n’est pas une contradiction, car le racisme dans le pays est devenu tellement banalisé et la négation de l’autre différent est si déclarée, que stigmatiser l’étranger ne choque plus grand monde, et ce à l’exception de l’extrême gauche humaniste et universaliste.

C’est ainsi que le mouvement La France insoumise (LFI) est entré dans l’Histoire. En quelques mois, ses militants ont su réveiller la conscience politique des dominés et des exclus banlieusards. Ils ont réussi à convaincre un grand nombre d’aller enfin voter.

Ce qui s’apparente à une trahison en direction d’une partie de la nation coule au fond de source, car dans les imaginaires le footballeur africain ou arabe n’aura fait que remplacer son père ou son oncle qui est toujours ouvrier de chantier ou ramasseur des poubelles. Qu’il se batte pour un drapeau qui n’est pas le sien, c’est son problème car il le fait pour le fric. A ce titre, les fachos embusqués ont déjà soulevé la question de la loyauté à la France lorsque certains joueurs étrangers n’avaient pas chanté la Marseillaise en 2018.

Le refus du multiculturalisme

La France est le pays de l’Europe occidentale qui est le plus hermétique aux cultures étrangères. Sur ce terrain, le double discours est de rigueur. Par contre, des sommes colossales sont dépensées pour se renseigner sur ces cultures chez eux par le biais des centres culturels et de recherche. La devise est se renseigner pour mieux dominer. L’ironie ne tuant point, l’entourloupe est la suivante : j’exporte ma langue et ma culture chez vous, et j’empêche votre culture de s’exprimer sur mon territoire. C’est l’un des aspects cachés de l’essentialisme tricolore. La levée de boucliers face au projet de l’introduction de la langue arabe dans les écoles françaises en 2016 en est un exemple. Au même moment, les touristes français qui entrent au Maghreb comme dans un moulin et encore sans visa sont déçus que les autochtones parlent de moins en moins leur langue !

C’est aussi un pays qui demeure horrifié par l’idée qu’un étranger non européen puisse occuper une fonction de direction ou de pouvoir. Les ministres Rachida Dati et Najat Vallaud-Belkacem ont été critiquées récemment dans les médias parce qu’elles étaient arabes. La suffisance, les insinuations et les rictus d’usage des journalistes dès qu’il est question d’étrangers illustrent toujours le climat délétère et raciste qui règne dans l’Hexagone. 

Pour confirmer cette règle, le staff actuel de l’équipe de France de football est exclusivement blanc. Et quand en 2023, Zidane, dit le Zizou «national», a osé formuler le souhait de devenir sélectionneur national, Noêl Le Graêt, le président de la fédération de l’époque a répliqué : «Je ne l’aurai même pas pris au téléphone». Ce dernier l’a chèrement payé, car dans les usages, on n’humilie pas une icône nationale, même si elle est arabe. A l’image de Gabin, Johnny et Delon, les légendes doivent rester hors d’atteinte.

Comment parler aux joueurs de la moitié du peuple français qui a voté contre eux?

Comment les préparateurs mentaux du onze de France ont-ils abordé ce problème dans les vestiaires? L’a-t-il été? Le saura-t-on un jour? Le milieu du journalisme sportif est l’un des plus occultes. Il est régi par la soumission aux clubs, aux fédérations, aux agents des joueurs, aux sponsors…

L’équipe a joué sans âme ni conviction. Et si ses mauvais résultats étaient en partie dus à ce qui s’était passé sur les plateaux de télévision? Dans la rue, l’étranger, arabe, noir et musulman est devenu clairement une cible pendant la campagne électorale la plus raciste de l’après-guerre.

Une bonne partie des joueurs africains sont musulmans. Ils sont profondément concernés par le génocide palestinien. Ils savent qu’une minute de silence a été refusée le 21 novembre à l’assemblée nationale pour les victimes palestiniennes. Ils savent surtout qu’elle a été accordée dans le même lieu aux victimes israéliennes du 7 octobre. Et ils savent surtout qu’il était hors de question que la Fifa fasse le même geste humanitaire en Allemagne en faveur des Gazaouis. Deux poids, deux mesures. C’est plié. Mais ce n’est que partie remise car le monde est en train de changer rapidement.

«Après le succès des Bleus contre la Belgique, lundi, Jules Koundé, désigné homme du match, a appelé à ‘‘faire barrage au Rassemblement national’’. La veille, Kylian Mbappé avait annoncé que les joueurs allaient se réunir pour ‘‘faire quelque chose’’» (Le Monde).

Le silence des intellos

Pourquoi les intellos, les journalistes et les chroniqueurs si verbeux et si friands de scandales ont-ils fait passer sous silence cette coïncidence du calendrier ? Quel est le chroniqueur qui s’est préoccupé de ce que peut ressentir Kanté ou Dembelé par rapport au plébiscite populaire de l’extrême droite ? Eh bien, c’est le contraire qui s’est produit. Mbappé a été unanimement critiqué pour son manque d’efficacité pendant l’Euro 2024. Manque d’efficacité, seulement ?  

Au temps des lois ségrégationnistes, Ray Charles a refusé de se produire devant un public américain blanc. Lors de la guerre du Vietnam Mohamed Ali Clay a refusé de tuer les Vietnamiens chez eux. En 1958, l’équipe du FLN a été composée par des footballeurs professionnels algériens évoluant en France. Ils ont quitté leurs clubs pour faire un tour du monde dans le but de faire connaître la cause algérienne. La France a fait pression sur la Fifa pour qu’elle ne reconnaisse pas cette équipe et elle a réussi. Les coéquipiers de Rachid Makhloufi ont joué 80 rencontres sur trois continents où ils ont reçu les honneurs.

Le couple racisme et politique dérange-t-il autant ? La crainte de voir surgir le tabou du «racisme d’Etat» est-elle si opérante?

Les hypocrites qui se croient malins diront que ces joueurs sont des Français, où est le problème? Faux ! «Des Français de papier» a toujours signifié quelque chose aussi bien pour les victimes de ce terme que pour ceux qui l’utilisent comme outil de discrimination et d’exclusion.

Et les résultats de ces élections sont en soi une catastrophe humaine, culturelle et sociale.  L’avenir nous démontrera à tel point les Français ont ouvert la boîte de Pandore.

Une concurrence mortifère 

Claude Lévi-Strauss a déterré l’idée que tout allait de pair. Le jour et la nuit, le mâle et la femelle… En un mot : si vous voyez un phénomène, son opposé n’est guère loin.

Pourquoi les footballeurs étrangers de la sélection française ne devaient pas constituer un cas de conscience à part entière pour l’électorat de l’extrême droite?

L’une des raisons est que si la question était évoquée pendant l’Euro, un autre cas de conscience encore plus mortifère ferait irruption et hanterait tous les propagandistes pro sionistes qui se font passer pour des intellectuels, des journalistes ou des hommes politiques : le génocide palestinien.

Cela explique le silence. Et ce n’est pas «attention, un train peut en cacher un autre», mais un crime peut en cacher un autre ! Parler de ces gamins africains qui se battent sur le terrain pour une nation qui au même moment les discrimine dans les urnes risque de faire surgir les fantômes des 186 000 assassinés à Gaza dans la compromission occidentale la plus totale.

Par contre, et comble de l’abomination, le génocide palestinien perpétré par les sionistes a fait partie de l’argumentaire de la droite pour affaiblir le Nouveau front populaire (NFP). Difficile de faire mieux en termes d’ignominie.

Lévi Strauss a dit aussi que les mythes parlent entre eux : mais là, ce sont les crimes des Occidentaux blancs contre les Arabes et les Noirs qui parlent entre eux. Il fallait éviter la Palestine, et ce fut chose faite.

L’Euro 2024 a occulté le génocide à Gaza. Il n’y a même pas eu une minute de silence pour les victimes. Venant des organisateurs allemands, cela n’étonne guère. Ils ont à leur actif plusieurs génocides : ceux des Juifs, des Tziganes et des Roms et des Namibiens Héréros et Namas.

Ils craignaient qu’un génocide rappelle l’autre ou les autres.

Pourtant, à Tunis, au moins 6 partis politiques allemands sont représentés par des ONG. Que font-ils ? La Tunisie n’a pas besoin de partis politiques, mais de financements et de projets économiques. Officiellement, ils sont engagés pour la démocratie, le développement, contre les discriminations… en bref, tout l’arsenal du mensonge diplomatique est déployé. Dans la réalité, ils distillent parmi les élites la suprématie blanche, le libéralisme outrancier et le sionisme. Ces ONG soutiennent toutes l’armée génocidaire sioniste, puisqu’elles sont soumises à leur gouvernement qui est l’un des principaux complices européens des criminels de guerre en Palestine.

Pour ne pas conclure

Ainsi on comprend mieux pourquoi les questions ethniques et raciales ont toujours été occultées dans le sport en général et dans l’Euro 2024 en particulier. Et la mascarade continuera pendant les JO de Paris. L’Occident n’a pas renoncé à son passé colonial et il ne le fera jamais. Une question de survie pour lui. Et de ce fait, l’idéologie de l’extrême droite ne peut que lui paraître naturelle. C’est ce qui le fonde.

Le racisme fait partie du passé, du présent et de l’avenir des Occidentaux. C’est une arme redoutable contre le grand Sud : raciser, humilier et exclure pour recoloniser. Voilà la vraie nature du projet.

Jean Ziegler a écrit ‘‘Main basse sur l’Afrique – la recolonisation’’. Il a démontré dans ce livre tous les processus en cours, dont nous avons évoqué ci-haut quelques uns.

* Sociologue, Tunis.

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