Entretien avec Akli Ourad, témoin de l’injustice subie par les Palestiniens

Akli Ourad, avec son livre ‘‘De Londres à Jérusalem : Terreur promise’’ (paru le 9 juin 2024, 190 pages), lance un cri de colère face aux souffrances d’un peuple oublié, victime d’une colonisation implacable et d’un apartheid brutal. Dans un entretien bouleversant accordé à Kapitalis, l’auteur revient sur les motivations profondes qui l’ont poussé à témoigner, ses souvenirs gravés par la douleur et le courage des Palestiniens, et son combat pour la justice. À travers ses mots, empreints d’émotion et de lucidité, Akli Ourad nous invite à ne plus détourner le regard et à réaffirmer notre humanité face à l’inacceptable.

Propos recueillis par Djamal Guettala

Kapitalis: Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre? Était-ce une nécessité personnelle ou un appel à témoigner?

Akli Ourad: C’est plutôt un cri de colère après avoir vu se dérouler devant nos yeux un véritable génocide à Gaza, commis par le gouvernement le plus extrémiste qu’ait connu Israël.

J’ai effectué ce voyage en Palestine il y a 25 ans et j’avais alors rédigé un article de presse dans le journal algérien Liberté pour témoigner des souffrances du peuple palestinien sous le joug de la colonisation israélienne.

Cependant, la vue des centaines de morts, principalement des femmes et des enfants, à Gaza, après l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, m’a poussé à écrire ce livre, afin de témoigner de manière vivante du système colonial et d’apartheid imposé à un peuple qui n’a rien à voir avec la Shoah, par un pays artificiel implanté de manière criminelle par un Occident calculateur en Palestine.

Votre style recourt à l’humour noir et au sarcasme. Était-ce une façon de prendre du recul sur l’horreur ou de mieux interpeller vos lecteurs ?

C’est mon style d’écriture, conçu pour secouer les consciences face à l’absurdité d’un système de domination d’un groupe d’hommes sur un autre, dans un État bénéficiant de l’impunité totale de la part d’un monde lâche et complice. Cela s’appelle l’apartheid, et c’est toujours d’actualité au 21e siècle.

Mon style vient de mon passé de comédien de théâtre dans les années 80, d’abord au sein de Debza, puis avec ma propre troupe. Nous avons utilisé l’humour pour dénoncer des situations pourtant très tristes et préoccupantes. C’est une façon de dire les choses profondément ancrée dans notre culture et notre manière de raconter. Kateb Yacine a également employé ce style dans son théâtre révolutionnaire. J’ai repris un peu ce même ton dans mon écriture pour décrire l’horreur infligée par Israël à un peuple innocent.

Comment avez-vous structuré votre récit pour capturer à la fois l’intensité de vos expériences et les réflexions sur les injustices observées ?

Étant donné que c’est un récit, j’ai simplement suivi l’ordre chronologique des événements, mais en faisant des pauses informatives pour éclairer les contextes historiques et politiques des situations que j’aborde. Par exemple, lorsque je parle des dizaines de colonies éparpillées en Cisjordanie, dont certaines sont aussi grandes que des villes, j’explique que cela fait partie du projet sioniste visant à rendre impossible tout partage de la Palestine historique avec les Palestiniens. Je rappelle également le grand projet de Theodor Herzl, père du sionisme, qui rêvait d’un foyer juif allant du Nil à l’Euphrate, un projet toujours en cours à travers les destructions de la Palestine, du Liban, de la Syrie et de l’Irak.

Quel moment ou détail sur place vous a le plus marqué, voire bouleversé ?

Le moment qui m’a le plus bouleversé est le bombardement aux F-16 que j’ai vécu à Naplouse lors de ma toute première nuit en Palestine. Se faire réveiller en pleine nuit par les sifflements stridents de ces avions-tueurs, que l’Amérique fournit gracieusement à son complice au Moyen-Orient, est terrifiant. Ma précipitation folle vers l’abri anti-bombes de l’hôtel a failli me stopper le cœur, tellement c’était surréaliste et incompréhensible pour un enfant de la paix comme moi, mais pas pour les Palestiniens, habitués à ce jeu de la mort depuis leur naissance.

Le bruit du bombardement résonne toujours dans ma tête, et c’est encore plus vivace aujourd’hui en pensant aux Gazaouis qui subissent ces attaques aériennes au quotidien, avec leur lot de massacres et d’anéantissement de toute vie dans cette prison à ciel ouvert. Imaginer un État bombardant l’une de ses prisons ? C’est l’expérience qui m’a le plus marqué.

Vous décrivez un peuple palestinien résilient. Quels actes ou figures de résistance vous ont le plus impressionné?

Le premier acte de résistance du peuple palestinien est le refus de quitter leur territoire après l’erreur fatidique de 1948, lorsque plus de 700 000 Palestiniens ont quitté champs et maisons, pensant revenir très vite une fois les hostilités terminées. Cela ne s’est jamais matérialisé.

Les Palestiniens ont tiré des leçons de cette expérience douloureuse. Aujourd’hui, le peuple palestinien est résilient face aux brimades du Tsahal et de ses auxiliaires dans les colonies et ne quitte jamais ses terres. Leur attachement à leurs terres m’a beaucoup impressionné. Le combat des Palestiniens pour garder leurs maisons, leurs lopins de terre, leurs oliviers, est extraordinaire. Même avec toute l’armada militaire des occupants, les Palestiniens restent là, en nombre équivalent aux Israéliens, malgré l’or du monde que la loi du retour de 1950 offre aux Juifs pour revenir dans un pays qui n’est pas le leur.

La personnalité du professeur Mahmoud, mon partenaire en Palestine, m’a aussi beaucoup impressionné. Voici un homme qui a percé dans le monde académique et professionnel malgré tous les obstacles qu’Israël met sur la route des enfants de la Palestine vers l’acquisition de connaissances et le bien-être.

Le peuple palestinien, vivant sous colonialisme et maintenant sous génocide, est l’un des plus lettrés au monde.

Aviez-vous conscience des risques avant de partir? Comment avez-vous géré les menaces et la peur sur place?

J’étais bien entendu conscient d’un certain niveau de risques, mais pas du niveau que j’ai réellement affronté. J’ai frôlé la mort ou la prison à plusieurs reprises, notamment lors du bombardement de Naplouse, sur la route entre Naplouse et Ramallah, d’abord au barrage à la sortie de Naplouse où plusieurs soldats ont pointé leurs fusils vers moi, prêts à tirer, puis en traversant des colonies revanchardes pleines de criminels et de névrosés messianiques, et enfin lors d’une manifestation à Jérusalem réprimée par les militaires israéliens, avec moi en plein milieu. Il faut dire que ma jeunesse à l’époque m’a rendu un peu plus téméraire.

J’ai géré ces événements avec du sang-froid et du bon sens, en mesurant les risques et en agissant avec prudence, mais connaissant la brutalité du Tsahal et de ses colons, tout pouvait arriver à tout moment.

Vous utilisez le terme «apartheid». Pensez-vous qu’il soit suffisamment compris ou accepté pour décrire la situation en Cisjordanie ?

Le système d’apartheid a été appliqué aux Palestiniens dans les territoires occupés et même à ceux qui sont restés dans ce qui est devenu Israël, et ce, depuis 1948. Cependant, le terme n’a été utilisé qu’à partir de 2021, lorsque Human Rights Watch a publié un rapport intitulé «Un seuil franchi», accusant explicitement Israël de pratiquer l’apartheid à l’encontre des Palestiniens, l’inscrivant dans une discussion plus large sur les droits de l’homme.

En 2022, l’organisation israélienne B’Tselem a également qualifié la situation d’apartheid, renforçant ainsi ce cadre dans les discussions mondiales.

C’est donc récemment que le terme «apartheid» est devenu un élément central du discours entourant le conflit israélo-palestinien, notamment dans les milieux universitaires, militants et certains cercles politiques. Moi-même, lorsque j’ai écrit mon article de presse en 1999, j’avais plutôt évoqué le colonialisme, car le concept d’apartheid était encore méconnu, même si les Noirs d’Afrique du Sud l’avaient subi de 1948 à 1994.

La seule solution à laquelle je crois est que l’opinion occidentale finira par imposer un embargo économique et militaire au régime génocidaire d’Israël, comme cela a été le cas avec le régime d’apartheid sud-africain. Il faut se rappeler que ce régime n’a commencé à s’effondrer qu’après la résolution 32/105 de l’Onu en 1977, appelant à un embargo sur les armes contre l’Afrique du Sud.

Il est de plus en plus clair que cela commence à se produire pour Israël, comme en témoigne le mandat d’arrêt émis contre Benjamin Netanyahu par la Cour pénale internationale.

Oubliez le monde arabe, qui est à l’origine même de l’occupation de la Palestine en raison de ses échecs militaires successifs.

Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes générations engagées dans des luttes similaires pour la liberté et les droits humains ?

Il ne faut jamais baisser les bras, quelle que soit la puissance en face. La liberté et les droits humains sont trop précieux pour être abandonnés.

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