Tunisie │ Les politiques sociales ont un coût, qui va payer ?

Que faire pour faire bouger une administration publique qui emploie quelque 700 000 salariés (plus du double de ce dont elle a besoin pour fonctionner plus ou moins correctement) et que l’on continue d’engraisser par des milliers de recrutements supplémentaires chaque année, sans tenir compte des difficultés financières de la Tunisie, ni de ses déficits chroniques ni encore de son surendettement qui la rend de moins en moins solvable au regard d’éventuels prêteurs internationaux ?

Imed Bahri

«Les textes de loi, à eux seuls, ne suffisent pas, tant que les personnes chargées de leur mise en œuvre ne font pas preuve de responsabilité et de dévouement au service de l’administration», a déclaré le président de la République, Kaïs Saïed, lors de son entretien avec la cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzeri, hier, lundi 9 juin 2025, au Palais de Carthage.

Selon le communiqué de la présidence, l’entretien a porté sur la situation de plusieurs établissements et entreprises publics, se gardant d’ajouter que ces établissements et entreprises connaissent presque tous des difficultés financières et des dysfonctionnements structurels qui ne datent pas d’aujourd’hui mais auxquels on n’a pas encore trouvé de solutions.

Un manque d’engagement

Le président Saïed a indiqué qu’il suit de près le fonctionnement de plusieurs services publics, une tâche «qui devait, normalement, être confiée directement aux autorités compétentes à l’échelle nationale, régionale ou locale», a-t-il souligné, dans ce qui ressemble à un reproche adressé à la Première ministre et aux membres de son cabinet.

Dans ce contexte, Saïed a fait remarquer – pour la énième fois et sans craindre de se répéter – que servir les citoyens est un devoir sacré qui incombe à tout responsable, ajoutant que «les textes de loi ne tirent pas leur valeur de leur existence, mais de l’engagement de ceux chargés de veiller à leur mise en œuvre», laissant ainsi entendre que les membres du gouvernement et les hauts cadres de l’Etat ne font pas montre d’engagement et encore moins de zèle dans la mise en œuvre des mesures prises et des lois promulguées dans le cadre de la «révolution législative» et de la «lutte de libération nationale» qu’il mène depuis la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021. Mesures et lois qui tardent à donner leurs fruits, en termes de relance de la croissance économique et d’amélioration du niveau de vie des citoyens. D’où l’impatience du chef du chef de l’Etat et ce lancinant sentiment d’impuissance qu’il ne cesse d’exprimer face à une bureaucratie lourde et inefficace.

On engraisse le mastodonte

A qui la faute ? Et que faire pour faire bouger le mastodonte qui emploie quelque 700 000 salariés (plus du double de ce dont le pays a besoin pour fonctionner plus ou moins correctement) et que l’on continue d’engraisser par des milliers de recrutements supplémentaires chaque année, sans tenir compte des difficultés financières du pays, ni de ses déficits chroniques ni de son surendettement qui le rend de moins en moins solvable au regard d’éventuels prêteurs internationaux.

Et puis, jusqu’à quand le pays va-t-il continuer de s’endetter, auprès des bailleurs de fonds, intérieurs et extérieurs, non pas pour relancer son économie en panne depuis 2011, mais pour financer ses dépenses publiques, lesquelles poursuivent leur irrésistible escalade de l’Everest ?  

Déficit budgétaire et surendettement  

Le chef de l’Etat estime sans doute que son rôle est éminemment politique et qu’il consiste à décider des politiques publiques et à faire promulguer des décrets et des lois, et qu’il revient aux membres du gouvernement de trouver et de mobiliser l’argent nécessaire pour leur mise en œuvre.

Recevant, au cours de la même journée, le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar, qui s’apprêtait à partir pour Genève pour participer aux réunions de l’Organisation internationale du travail (OIT), le chef de l’Etat a souligné la nécessité de trouver des solutions pour le financement des caisses sociales qui, comme on le sait, sont toutes déficitaires, et maintenues sous perfusion grâce aux injections de fonds de l’Etat.

Selon un communiqué de la présidence de la République, le chef de l’État a souligné que la «révolution législative» dans le domaine du travail doit être fondée sur la justice et l’équité afin de répondre aux aspirations du peuple tunisien dans les secteurs public et privé, faisant ainsi allusion à la suppression de la sous-traitance et de l’emploi précaire dans les secteurs aussi bien privé que public, «révolution» qui va se traduire par des recrutements dont bénéficieront des dizaines de milliers de chômeurs de longue durée.

Ce n’est certes pas de refus, et c’est même une excellente nouvelle pour cette catégorie sociale longtemps oubliée. Il reste, cependant, l’essentiel, à savoir la mobilisation des fonds nécessaires au financement des salaires et des indemnités de ces travailleurs, sachant que la Loi de Finances pour l’année 2025, dont le financement est loin d’être bouclé, n’a pas prévu ces dépenses supplémentaires.

Et le problème, car problème il y a, c’est que ni la Première ministre, ni la ministre des Finances, que le président a également reçu hier, ni encore les membres de l’Assemblée des représentants du peuples (ARP), n’ont cru devoir nous expliquer comment ils vont procéder pour «trouver des solutions pour le financement des caisses sociales» et des masses de nouveaux travailleurs publics, comme les y invite Kaïs Saïed.

La balle est dans leur camp, mais on ne voit vraiment pas comment ils vont faire pour mobiliser les financements nécessaires pour la mise en œuvre des politiques sociales du président sans crever le plafond du déficit public et de l’endettement extérieur.

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