Dans les mois à venir, les Tunisiens risquent de souffrir d’une carence alimentaire sans précédent. Pourquoi ? Parce que les textes de loi relatifs à la spéculation ne font pas l’objet d’une application stricte et rigoureuse. Et que les pénuries des produits de première nécessité ne semblent pas près d’être vaincues par des autorités publiques visiblement dépassées.
Par Mohamed Rebai *
La Tunisie est un petit pays qui n’obéit pas aux règles d’un marché parfait où il est question d’offre et de demande de biens et services agissant au sein d’une économie d’échelle et engendrant une diminution des coûts. Pour ne rien arranger, les grèves sectorielles se poursuivent, la production dégringole et la situation sociale est plus que préoccupante.
Dans ce contexte inflammable, où l’Etat ne semble rien contrôler, malgré l’arsenal des lois inutilement accumulées, un ou deux spéculateurs cupides de l’économie parallèle ou quelques rentiers adossés à leurs privilèges peuvent d’un simple claquement de doigts verrouiller un marché de 12 millions de consommateurs, l’équivalent de la population d’un quartier du Caire, de New Delhi ou de Mexico.
Ces spéculateurs peuvent nous tenir par la gorge aussi longtemps qu’ils le peuvent: tout dépend du degré de rentabilité du verrouillage effectué des circuits du marché. Aussi une déréglementation brutale entraînerait-elle une flambée des prix accompagnée d’une pénurie d’approvisionnement, des ruptures de stocks sur de multiples produits allant de l’alimentaire au médical en passant par les hydrocarbures.
Un petit marché surréglementé mais incontrôlé
En face, les autorités semblent avoir les pieds ankylosés. Ils nous tendent au bout de la perche un hameçon piégé. Les frontières sont poreuses et les contrôles limités, faute de moyens humains et matériels, sans parler de la corruption à tous les étages de l’administration publique.
C’est pourquoi la marchandise de contrebande circule presque librement du nord au sud et de l’est à l’ouest de la république et aucun des gouvernements qui se succèdent n’a réussi à contenir ce fléau, qui continue de se développer et de grever dangereusement l’économie nationale.
En dépit des petites opérations hypermédiatisées de saisies de marchandises de contrebande, ici ou là, on a l’impression que les autorités ne font pas grand-chose pour empêcher les trafiquants de cesser de nous dépiauter comme des lapins. Ces derniers, encouragés par l’impuissance, la lassitude ou le laxisme complice de l’administration publique, s’activent avec un zèle de troufions pour nous étriper et ensuite nous empailler à coups d’annonces sans lendemain.
Aujourd’hui, l’oignon blanc manque à l’appel. Demain d’autres produits disparaîtront des rayons pour réapparaître miraculeusement après quelque temps, le prix ayant entre-temps sauté au plafond. Et les plus hautes autorités de l’Etat continuent de nous raconter la fable de la lutte contre la spéculation et les monopoles.
Le FMI et l’UGTT imposent leurs lois aux antipodes
Sur ces entrefaites, les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un nouveau prêt, commencées depuis trois ans, s’éternisent. Les experts de l’organisme financier international exigent des réformes qui touchent principalement le système fiscal, la masse salariale dans l’administration, l’indexation des prix des carburants et la réforme du système de compensation. Ce que l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et certains acteurs politiques, populisme oblige, rejettent en bloc sans proposer de solutions de rechange.
Nous vivons aujourd’hui en Tunisie une étrange situation : nous avons obtenu, au cours des dix dernières années, d’énormes crédits auprès de bailleurs de fonds intérieurs et extérieurs, et le taux d’endettement du pays dépasse désormais 100% du PIB, énorme pour un pays pauvre et inégalitaire comme le nôtre.
Cette dette monumentale est l’angoisse de ma vie et celle de nombreux autres Tunisiens, qui sont conscients de la gravité de cette situation et du lourd legs que nous allons laisser aux futures générations. Nous restons enfermés dans nos déceptions, nos peurs et nos colères et pensons à juste titre que des coups de trique sont nécessaires pour mettre au pas les malins, les voleurs et les tocards qui nous imposent leurs lois.
Dans les mois à venir, les Tunisiens risquent de souffrir d’une carence alimentaire sans précédent. Pourquoi ? Parce que les textes de loi relatifs à la spéculation ne font pas l’objet d’une application stricte et rigoureuse. Tant que les spéculateurs n’ont pas été sanctionnés aussi lourdement que le tipule la loi, personne ne fera crédit à la soi-disant lutte contre la corruption tapageusement menée par le gouvernement mais dont on tarde à voir les résultats.
Avec la pénurie qui sévit actuellement dans certains produits alimentaires de base, une bonne partie des Tunisiens seront bientôt sous-alimentés, et cela 66 ans après l’indépendance du pays. L’incompétence des politiques et l’arrogance suicidaire des syndicalistes sont certainement pour beaucoup dans cette descente en enfer.
* Economiste universitaire.
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