Les déclarations du président de la république Kaïs Saïed sur la nécessité de mettre fin à la spéculation et à la hausse des prix des produits de première nécessité se suivent et se ressemblent. Elles traduisent, surtout, l’incapacité de l’Etat à gérer les différentes filières dont il possède pourtant le monopole de l’importation et de la distribution.
Par Imed Bahri
Le chef de l’Etat avait promulgué le décret-loi n°2022-14 du 20 mars 2022, portant sur la lutte contre la spéculation illégale, qui vise à sécuriser l’approvisionnement régulier du marché et de sécuriser les voies de distribution. Et qui prévoit de lourdes peines de prison contre les spéculateurs.
Il avait aussi exhorté, à plusieurs reprises, les services de l’Etat à sévir contre les spéculateurs et multiplié les menaces contre ces derniers.
Pourtant, les prix ont continué à grimper, les opérateurs des différentes filières concernées répercutant le renchérissement de leurs coûts sur les prix de vente ou… profitant des pénuries que l’Etat n’arrive pas à juguler.
Haro sur les comploteurs
Le président est revenu à ce problème hier, lundi 31 juillet 2023, et pour la énième fois, lors de sa rencontre avec le ministre de l’Intérieur Kamel Feki et le ministre du Commerce et du Développement des exportations Kalthoum Ben Rejeb Gazzah. La rencontre a été consacrée à discuter de «la hausse excessive des prix et de la pénurie d’un certain nombre de produits de base dans certaines régions de la république», selon un communiqué de la présidence de la république.
Saïed a souligné la nécessité pour les forces de sécurité de soutenir les efforts des contrôleurs du ministère du Commerce et de responsabiliser «tous ceux qui usent de tout moyen pour envenimer la situation sociale». Il s’agit notamment de saper le pouvoir d’achat des Tunisiens et leurs droits les plus élémentaires, comme le droit à l’eau, a dit le président, ajoutant que tout agent public, quel que soit son niveau de responsabilité, «doit se sentir au service de l’Etat et du peuple, et doit être un exemple de don de soi et de générosité». Ceux qui recherchent des privilèges ou servent des lobbies n’ont pas leur place dans l’État, a souligné Saied. Ces lobbies et leurs partisans ne seront pas à l’abri de l’application de la loi à leur égard, a-t-il menacé, soulignant que tout le monde est égal devant la loi.
A problème structurel, solution structurelle
Le président continue donc d’imputer les différentes pénuries dans le pays à de mystérieux comploteurs au sein même de l’Etat, en complicité avec des spéculateurs dans le secteur privé. Et il passe complètement sous silence les autres facteurs déterminants dans les pénuries et les hausses des prix, notamment le manque de farine, importée exclusivement par l’Etat, le système de subvention qui crée un terrain propice aux fraudes de toutes sortes, et le manque d’agents pour assurer le contrôle de tous les opérateurs du secteur. Ce qui rend d’autant plus difficile l’identification des véritables solutions à un problème structurel et qui ne date pas d’aujourd’hui.
Le président de la république refuse toute idée de levée des subventions, car il redoute une colère populaire comme celle qui a provoqué les émeutes du pain de janvier 1984 ayant accéléré la chute de Habib Bourguiba. Il n’est visiblement pas prêt à courir un tel risque, qui plus est, à la veille d’une nouvelle élection présidentielle à laquelle il est déjà, clairement, candidat, ne fut-ce que par la portée populiste de toutes ses déclarations. Mais cette politique a été suivie par tous les gouvernements depuis 1984, portée par les mêmes calculs politiques, et nous en voyons aujourd’hui les résultats : des déficits publics astronomiques, une crise sociale larvée et un Etat au bord de la faillite… Et la question qui se pose à cet égard est la suivante : jusqu’à quand allons-nous reporter les réformes urgentes et vitales ?
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