Né en 1926 à Bagdad, Abdelwahab Al-Bayati est une voix majeure de la poésie arabe dont il développe, avec d’autres, le courant de la nouvelle poésie.
Intellectuel de gauche, engagé et critique, sa poésie lui vaut de vrais ennuis avec le pouvoir qui le fait déchoir de sa nationalité, en 1963. Son exil le mènera dans différents pays arabes, puis, ailleurs, jusqu’aux Etats-Unis.
Il pratiquera le journalisme et enseignera à l’Université de Moscou, s’installe quelques années en Espagne (1980-89) pays qui sera déterminant dans son écriture et sa renommée.
La thématique de l’exil occupera une place de premier ordre dans son univers poétique, entre nostalgie, amour, errance et lyrisme politique qui rappelle celui de nombreux poètes communistes, à l’échelle internationale
Il finit par rentrer en Iraq où il décède en 1999, laissant une œuvre importante et marquante.
Quelques traductions en français : Poèmes d’amour des sept portails du monde, trad. Jean-François Dionnot, Sindbad, 1982 ; Autobiographie du voleur de feu : poèmes ; trad. par Abdellatif Laâbi, Unesco /Actes Sud, 1987.
Tahar Bekri
Là-bas dans les vases périssent les fleurs
Et le soleil embrasse les maisons
Et la chanson des enfants
Poursuit la ronde ancienne
Et les vendeurs ambulants
Marchandent toujours
Les restes de ce petit aigle qui s’appelle « conscience »
Et ces gens-là et toi et moi
Telle la chèvre lépreuse qu’évite le troupeau
Nous sommes sans printemps
Sans printemps ni maison
Du coucher du soleil à son lever
Et du lever au coucher
Nous restons à attendre ce qui n’arrive pas.
Rien n’est vivant de ces murs affreux
Et de ces ruelles
O malheureux dans ces ruelles
Rien n’est vivant
Ici le terrible néant ici
Rien que le terrible néant
Et le soleil se couche et les enfants
Baillent au seuil des maisons
Et les cœurs insouciants
Marchandent en bavardant
« Vendre des aigles est plus profitable
Que le commerce des poteries et des fleurs »
Et ces gens-là et toi et moi nous attendons
Et la nuit tel un chien acharné
Nous assaille à travers les murs.
Et moi ?
Et toi ?
Je suis seul
Comme la stérile goutte de pluie je suis seul.
Et ces gens-là ?
Comme toi, comme moi, ils creusent le mur
Pour échapper à leur tombe
Comme toi, comme moi, ils espèrent
En une chose plus forte que la ruine
Ces gens-là et toi et moi
Telle la chèvre lépreuse qu’évite le troupeau
Notre effort est vain
Et s’il demeure quelque chance
Elle s’en viendra tomber
A ce mur impossible à franchir
A ces cœurs insouciants
Car tout effort est vain
A ces gens-là, à toi et à moi ;
Les cœurs insouciants et le soleil des nues
Trad. de l’arabe par Pierre Rossi (Salah Stétié, «Du monde arabe : la poésie», revue Vagabondages, juin, 1981).
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