Contrairement aux prévisions catastrophistes de certains, la veille du match opposant l’Espérance à Sundowns, le catenaccio s’est révélé, une nouvelle fois, un système de grande intelligence tactique. Encore faut-il bien l’appliquer, comme l’ont fait les Sang et Or. (Photos: CAF)
Dr Mondher Azzouzi *
L’Espérance de Tunis a battu la redoutable équipe sud-africaine de Sundowns, indiscutablement la meilleure d’Afrique, vendredi 26 avril 2024 (0-1), à Pretoria même, et s’est qualifiée pour la finale de la Champions League africaine.
Cette victoire est acquise à l’italienne et rappelle le système du verrou italien. C’est un modèle de jeu que prônait, dans les années 1960, Helenio Herrera avec «Il grande Inter», précédé dans cette voie par Nereo Rocco à la tête du «Big Milan». Il consiste à absorber la force de l’adversaire en le laissant taper dans un mur pendant près d’une heure pour lui asséner le coup fatal sur un contre bien mené, et le tour est joué.
Le gardien Memmiche passeur décisif
Bravo à l’entraineur de l’Espérance, le Portugais Miguel Cardoso, qui a su exploiter à fond les différentes situations ainsi que le potentiel de ses joueurs adossés à un prodige dans les bois, Amanallah Memmiche (20 ans), un futur grand gardien de buts, à la bonne bouille sympathique de gamin quand il s’exprime au micro. À tel point qu’on a l’impression qu’il se dédouble sur le terrain pour adopter une attitude d’adulte mûr qui fait plus que son âge quand il est dans les bois. Des parades et des arrêts réflexes impressionnants qui promettent un avenir des plus radieux si le loup ne le dévore pas. Non seulement ça, mais Memmiche a été le passeur décisif du but marqué grâce à une clairvoyance formidable pour une relance rapide sur l’avant en pointe, le Brésilien Rodrigo Rodriguez, ayant légèrement dévié le ballon à droite vers le latéral droit de suppléance, Raed Bouchniba (20 ans), qui venait de rentrer sur le terrain, permettant ainsi la mise en application du plan de son entraîneur. Pourtant, le nul aurait suffi, car l’Espérance avait battu son adversaire au match aller à Tunis par le même score. Mais pour que la fête soit plus belle, la victoire était encore mieux.
Je n’ai aucunement l’intention de m’ériger en technicien pour prétendre analyser la partie. Mais en tant que téléspectateur, j’ai admiré le bloc défensif maintenu savamment médian. Puis très serré et compact quand les joueurs de Sundowns – comptant six titulaires au moins en équipe nationale en plus d’un international de Gambie et d’un autre du Chili, techniquement redoutables et aussi habiles que véloces – devenaient plus pressants et proches de marquer.
L’autre Brésilien de l’Espérance, Yan Sasse, qui opère en milieu offensif, très doué sur le plan technique balle au pied, était là pour une éventuelle contre-attaque surprise, gênant ainsi énormément la progression des Sud-africains, même si les tâches défensives ne font pas partie de son registre. En deuxième période, ce dernier fût remplacé par un joueur plus frais qui, l’un dans l’autre, était capable d’assurer en défense comme en contre. Avec un peu plus de maîtrise technique et d’inspiration, Raed Bouchniba aurait même pu alourdir la note.
La chance, il en faut aussi
On doit à la vérité de reconnaître que l’Espérance a eu beaucoup de chance, parce que Sundowns aurait bien pu gagner le match, puisque l’équipe sud-africaine a eu elle aussi beaucoup d’occasions de buts que ses joueurs ont lamentablement manquées. Parce que de la chance, il en faut aussi.
Il y a eu, également, un coaching de renforcement qui a porté ses fruits sur le côté droit pour bloquer la redoutable aile gauche de l’adversaire et porter davantage le danger devant. Cela n’a pas tardé puisque le remplaçant est venu enfoncer le clou par un tir croisé, qui quoiqu’on dise, était aussi magistral de conviction qu’imparable.
Un joker dont le coach connaît la valeur, le Nigérian Onuche Ogbelu (20 ans), injecté dans l’entrejeu, a certes été maladroit en relance, mais il a considérablement gêné la progression du milieu adverse.
De plus, le fait de faire rentrer un attaquant vif, Oussema Bouguerra, sur le flanc gauche prouve que l’entraîneur ne fait pas que dresser un bouclier à dix derrière et sans suite dans les idées. Mais qu’il agit bien, comme sur un échiquier, de trouver à nouveau la faille et gêner davantage la progression des milieux défensifs adverses. Il savait en effet attendre et guetter le moment opportun pour frapper quand, en face, tous allaient monter et risquer de se découvrir complètement. Il prouve ainsi une qualité indéniable qui n’est pas suffisamment mise en valeur par les chroniqueurs sportifs : le courage d’oser et l’habileté de choisir le moment opportun pour porter l’estocade.
Contrairement aux prévisions catastrophistes de certains, la veille du match, le catenaccio s’est révélé, une nouvelle fois, un système de grande intelligence tactique. Mais il ne réussit que quand on prépare un dispositif techniquement et mentalement fort, qui ne se lasse pas de défendre, tout en ayant l’intention de marquer et de gagner son match. C’est peut-être le mode de jeu le plus dur physiquement et mentalement, et le plus fastidieux aussi, mais il peut être efficace lorsqu’il est bien appliqué par un collectif solide et solidaire.
* Cardiologue, Lyon, France.
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