Parce que les connaissances essentielles en mathématiques sont nécessaires pour la majorité des carrières envisagées dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), qui couvre aujourd’hui tous les champs de l’activité humaine, il est nécessaire, en Tunisie, de consolider progressivement ces connaissances à travers les étapes du collège, lycée et université. Nous en sommes malheureusement très loin aujourd’hui.
Raouf Laroussi *
L’intelligence artificielle (IA) a été propulsée sur le devant de la scène depuis que le grand public a découvert l’IA générative proposée par la société OpenAI et son ChatGPT.
En effet, ChatGPT fait beaucoup de choses comme un humain en donnant des réponses bien rédigées aux questions qu’on lui pose à propos de presque tout. Les capacités de l’IA générative et des différentes solutions dans ce domaine se sont rapidement démultipliées depuis le lancement de ChatGPT, le 30 novembre 2022. Il est désormais possible de générer non seulement des textes mais aussi des images, des vidéos, de la musique, etc. Des modèles puissants permettent aujourd’hui de résoudre même certains problèmes des olympiades de mathématiques, réputés très difficiles. Des problèmes qui nécessitent des raisonnements complexes et qui sont destinés à détecter les jeunes prodiges des maths.
Paradoxalement, comme on le verra plus loin, les mathématiques utilisées en arrière-plan de l’IA, sont assez simples et bien maîtrisées. Ainsi, les algorithmes de l’IA développés à partir d’outils mathématiques simples peuvent aider à résoudre des problèmes mathématiques complexes ! Cette assistance par l’IA est, d’ailleurs, en train de se développer dans tous le domaine sous le nom de co-pilote IA.
Pourquoi dit-on que l’IA a besoin des maths ?
Mais qu’est-ce qui se cache derrière ces petits monstres qui répondent quasi-instantanément à nos questions avec une marge d’erreur très limitée? Ou encore de quoi a-t-on besoin pour construire des «modèles» qui, en arrière-plan, exécutent les tâches qui permettent de générer des réponses à nos requêtes?
La réponse est que les outils essentiels pour réaliser ces modèles sont certaines branches des mathématiques. En effet, les algorithmes du «machine learning» et du «deep learning» qui constituent une composante essentielle de l’IA, sont basés sur au moins cinq domaines des mathématiques à savoir :
– l’algèbre linéaire;
– la géométrie analytique;
– le calcul vectoriel;
– les probabilités et les statistiques;
– l’optimisation.
Ces connaissances sont d’une acquisition facile et peuvent être maîtrisées au niveau de la licence voire même pour certaines au niveau de l’enseignement secondaire.
Il est bien connu que la «matière première» des modèles de l’IA est la «data». La montée en puissance de l’IA ces dernières années est le résultat de l’explosion des données suite à l’avènement de l’Internet depuis les années 90 du siècle précédent qui a créé le besoin de traiter les données massives qu’il génère. Ce fut d’abord le «miracle» Yahoo et Google qui, grâce à l’IA, ont développé les outils de fouille de données pour développer leurs moteurs de recherche. Le ChatGPT de OpenAI (dont Microsoft est devenu un partenaire privilégié), Gemini de Google et d’autres fournissent maintenant une couche supplémentaire appelée IA générative qui simule le raisonnement humain et ne se contente pas de chercher du contenu à partir de certains mots clés.
L’implémentation de modèles d’IA, la personnalisation de modèles existants ou la création de nouveaux modèles nécessite diverses compétences et à des niveaux divers. Ainsi, l’enseignement des mathématiques, bien que nécessaire pour la majorité des carrières envisagées dans le domaine de l’IA, doit être adapté selon l’objectif final de la formation. Il est évident, à cet égard, que l’ingénieur concepteur a besoin de connaissances beaucoup plus approfondies en mathématiques que celui qui est appelé à utiliser un modèle existant.
En effet, la gamme des métiers liés à l’IA est très large, l’on peut en citer : Data Scientist, Architecte Data, Data Analytics Manager, Ingénieur Machine Learning, etc. Et la majorité de ces métiers nécessitent des connaissances plus ou moins approfondies des disciplines mathématiques citées plus haut.
Place des maths dans le système éducatif tunisien
L’IA est un domaine transversal. Autrement dit, ses applications couvrent toutes les activités humaines et toutes les formations universitaires. Les praticiens de l’IA sont appelés à maîtriser les outils essentiels propres à ce nouveau domaine en plus d’autres connaissances dans le domaine où ils comptent l’appliquer de manière à en tirer le meilleur profit.
Ceci nous amène au constat que l’apprentissage des connaissances essentielles en mathématiques doit être réalisé dès le début de la formation des élèves et consolidé progressivement à travers les étapes du collège, lycée et université.
En plus, ces connaissances de base ne doivent pas être réservées aux sections scientifiques mais inculquées à des degrés divers à toutes les spécialités et notamment aux sections d’économie et de gestion dont les élèves peuvent être amenés, lors de leurs études supérieures à virer vers une formation étroitement liée à l’IA et à opter pour une carrière qui lui fait appel.
En outre, si l’on veut préparer une génération de concepteurs et de créateurs dans ce domaine en pleine évolution, il est nécessaire de renforcer les sections mathématiques au niveau du secondaire qui, seules, peuvent donner une formation complète en mathématiques pour couvrir tout le spectre des compétences nécessaire pour concevoir et développer de nouveaux modèles d’IA.
Malheureusement, on observe, depuis quelques années, la tendance inverse, c’est-à-dire le recul du nombre d’élèves dans les sections maths dans nos lycées. Cet état de fait devrait interpeller les responsables de l’éducation dans notre pays et les pousser à prendre les mesures nécessaires pour inverser cette tendance.
Il convient, en effet, d’accorder la plus grande importance à la maîtrise de ce domaine, au niveau de la conception et de la création et pas seulement au niveau de l’utilisation, parce qu’il devient de plus en plus impactant de tous les aspects de la vie, voire même de la sécurité du pays et de sa souveraineté.
* Enseignant universitaire de maths.
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