Tunisie: 2024, élections présidentielles et pressions économiques

L’année 2024 permettra certainement la réélection de Kaïs Saïed à titre de président de la république pour un deuxième mandat de cinq ans (2024-2029). Elle sera une année électorale sous le signe des tensions (arrestations, procès, pressions) et on attendra 2025 pour voir inéluctablement le même Kaïs Saïed renouer avec le FMI, commencer les réformes économiques douloureuses et assumer sa responsabilité face aux énormes défis macroéconomiques liés : dette, chômage, déficit, stagflation, chute du dinar …

Par Moktar Lamari *

Les observateurs internationaux, agences de notation, experts économiques et bailleurs de fonds internationaux s’accordent sur un ensemble de constats prospectifs qu’on résume ci-dessous de manière sommative.

1- L’économie tunisienne est certes assez diversifiée, mais plusieurs grands secteurs d’exportation restent vulnérables à un ralentissement en Europe et à des troubles géopolitiques internationaux. Cela inclut le secteur du tourisme, ainsi que les opérations dans les secteurs des phosphates et de l’énergie, qui seraient touchés par des grèves de la main-d’œuvre, et des revendications sociales. Leur pouvoir d’achat s’étant effiloché considérablement les dernières années.

2- Une nouvelle constitution a transformé le système politique tunisien en un système présidentiel, avec un rôle diminué pour le parlement. Kaïs Saïed restera président pour 2024-29, avec un pouvoir quasi absolu, mais la poursuite de la mise en écart des principaux partis politiques conduira indéniablement à des troubles sociaux de plus en plus politisés. Le syndicat des travailleurs ira aussi vers des actions et des pressions par des grèves et perturbations très probables en 2024.

3- A partir de 2025, le gouvernement mettra en œuvre par intermittence de modestes mesures d’austérité, y compris l’amputation des subventions aux produits alimentaires et la réforme menant à la compression de la taille de l’Etat, et la réduction de la masse salariale dans le secteur public par rapport au PIB.

4- Sans un programme du FMI, l’accès au financement externe sera limité, forçant le gouvernement à compter sur le financement intérieur, y compris auprès de la Banque centrale de Tunisie et sur les prélèvements de réserves. Une situation qui pénalisera durement l’investissement et fermera encore pour des années la porte aux créations nettes d’emplois par l’économie nationale.

5- La croissance du PIB réel restera faible, proche de 1,3%, presque équivalant du taux de croissance démographique, ce qui signe que l’économie restera en quasi-stagnation dans les meilleurs des cas. Avec, de surcroît, l’inflation, la corruption et l’asthénie de l’investissement.

6- De 2024 à 2029, tout indique que l’économie restera aux prises avec un accès limité au financement étranger, parallèlement à une inflation élevée, à un chômage endémique, à un faible investissement et à un environnement extérieur plus faible, dans le contexte de taux d’intérêt mondiaux plus élevés. Il faut d’importantes réformes pour sortir l’économie de sa trajectoire de stagflation et pour redonner de l’espoir aux jeunes générations touchées par un chômage durable.

7- Les pressions inflationnistes resteront élevées car le gouvernement dépend de la monétisation de ses déficits budgétaires et l’accès restreint aux devises entraîne une pénurie continue de biens importés. La dépréciation des devises ajoutera également aux pressions inflationnistes.

Les pénuries risquent donc de s’inscrire dans la durée, et s’ériger en politique publique pour rationner l’offre et contrôler la demande des produits importée (aliments, médicaments, pièces de rechange, technologies avancées, etc.).

8- Malgré une amélioration du déficit du compte courant, les soldes extérieurs resteront sous pression à mesure que les remboursements de la dette augmenteront, avec un risque notable de défaut de paiement de la dette alors que les réserves de change seront réduites à moins de trois mois de couverture des importations en 2024.

9- Compte tenu des perspectives économiques désastreuses, après sa réélection à la fin de 2024, M. Saïed pourrait alors soutenir les réformes nécessaires pour rétablir la stabilité macroéconomique et la viabilité de la dette et pour obtenir un nouveau programme du FMI. Cela améliorerait considérablement les perspectives.

10- Les mois à venir seront cruciaux pour le remboursement de la dette, notamment le remboursement de l’euro-obligation d’un montant de 850 millions d’euros qui arrivera à échéance en février. En octobre dernier, la Tunisie a remboursé une échéance en euro-obligation de 500 millions d’euros. Pour le reste des montants à rembourser en 2024, la pression sera forte et les sources de financement externes n’ont pas été clairement identifiées.

11- La Tunisie semble vouloir retarder la visite annuelle habituelle du FMI pour les consultations sur l’article IV après les élections présidentielles. Ces consultations procurent des mises à jour sur les conditions économiques et une nouvelle analyse de la durabilité de la dette. Or, personne ne veut mettre de l’avant ces chiffres d’une dette monstrueuse qui s’alimentent de déficits endémiques et d’une bureaucratie pléthorique et inefficace.

12- Pour toutes ces raisons, il n’y a aucune perspective de relancer la croissance économique durant 2024. Rien à attendre sur le front du chômage (700 000 sans emploi) et les pénuries. Et tout indique que le statuquo va plomber encore plus l’économie et faire taire les critiques pour ne pas susciter un débat sur les enjeux économiques et programmes politiques.

13- Kaïs Saïed n’a pas de programme économique et ne veut pas en avoir. Il veut gouverner et gérer le pays à sa façon, sans objectifs et sans instruments de politiques publiques clairs et dont les résultats sont démontrables hors de tout doute par des preuves concrètes et mesurables. Il l’a dit durant sa campagne électorale de 2019. Va-t-il le répéter pendant sa compagne pour 2024? Probablement non…

Blog de l’auteur: Economics for Tunisia, E4T

* Economiste universitaire.

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