Alors que les Palestiniens subissent depuis plus de cinq mois les crimes de guerre et le génocide atroces perpétrés par Israël, la Fifa et son président Gianni Infantino continuent de se murer honteusement dans leur silence alors qu’ils avaient vigoureusement réagi et pas seulement par la parole mais surtout par les actes s’agissant de soutenir l’Ukraine contre la Russie. (Illustration : Gianni Infantino et la Fifa n’ont pas encore appris la mort du buteur de l’équipe nationale de Palestine, Mohammed Barakat, ainsi que des centaines d’autres footballeurs palestiniens, sous les bombes israéliennes).
Par Imed Bahri
Le président de l’instance mondiale du football était aussi monté au créneau pour défendre le Qatar fortement critiqué lors de la Coupe du monde 2022 mais concernant les Palestiniens c’est motus et bouche cousue sachant que des footballeurs, des entraîneurs et des dirigeants de ce sport palestiniens ont été cruellement tués par Israël. Une attitude qui dérange et agace.
Dans un article intitulé «La Palestine se présente à la Fifa. La Fifa tourne le dos à la Palestine» publié lundi 18 mars 2024 par le magazine progressiste américain The Nation, le journaliste sportif américain Dave Zirin lève le voile sur l’indignation et la mobilisation sélectives de l’instance mondiale du football et de son patron Gianni Infantino et dénonce cette insupportable omerta qui se fait au mépris des valeurs du sport, qui ignore cyniquement la terrible souffrance des Palestiniens et qui profite aux bourreaux israéliens.
Zirin rappelle tout d’abord la manière avec laquelle M. Infantino s’était mobilisé précédemment quand il ne s’agissait pas de la Palestine: «Avant la Coupe du monde 2022 au Qatar, le président de la Fifa Gianni Infantino en avait assez. Les critiques dénonçaient le choix d’accueillir l’événement dans ce pétro-État compte tenu de son bilan épouvantable en matière de droits humains. Infantino a répondu avec défi dans une déclaration de solidarité bizarre et décousue avec le pays hôte –et les barons milliardaires derrière lui – en disant: ‘‘Aujourd’hui, je me sens Qatari. Aujourd’hui, je me sens Arabe. Aujourd’hui, je me sens Africain. Aujourd’hui, je me sens gay. Aujourd’hui, je me sens handicapé. Aujourd’hui, je me sens [comme] un travailleur migrant’’. Infantino essayait de dire, même si c’était maladroit que le football devait être pour tout le monde. Pourtant, lorsqu’il s’agit de sa longue liste d’identités symboliques, il ne se ‘‘sent’’ clairement pas Palestinien. Hormis une ‘‘lettre de condoléances’’ du 13 octobre envoyée uniquement au président de la Fédération israélienne de football appelant le football à être ‘‘un véhicule de paix’’, Infantino a choisi de ne rien dire pendant qu’Israël massacre des footballeurs, des entraîneurs, des footballeurs palestiniens ainsi que des responsables sportifs.»
Infantino avale sa langue quand il s’agit de Palestine
Le journaliste américain met ainsi face à face une situation où M. Infantino avait réagi avec zèle et une autre où il est complètement aux abonnés absents. Deux situations antagonistes qui montrent que le pape du football mondial peut ne pas avoir la langue dans la poche quand il en a envie mais il peut aussi avaler sa langue quand il le souhaite.
L’indignation et la mobilisation sélectives de Gianni Infantino ne s’arrêtent pas là, Dave Zirin poursuit: «Le refus d’Infantino de lancer ne serait-ce qu’un appel symbolique à un cessez-le-feu permanent révèle qu’il est un hypocrite. Infantino et la Fifa sont passés à l’action contre la Russie après son invasion de l’Ukraine les interdisant temporairement de toute compétition. (La Fifa, dans sa déclaration de l’époque, disait: ‘‘Le football est pleinement uni ici et pleinement solidaire avec toutes les personnes touchées en Ukraine.’’). Le silence de la Fifa a été particulièrement troublant en janvier, lorsqu’au milieu des horreurs des attaques de l’armée israélienne, la Palestine a envoyé une équipe à la Coupe d’Asie où elle a étonnamment bien réussi en se qualifiant pour les quarts de finale. L’équipe était l’une des préférées des fans et faisait l’objet d’une grande couverture médiatique, du moins en dehors des États-Unis. L’ironie est flagrante: voici l’équipe palestinienne, comme Jules Boykoff me l’a fait remarquer, qui se présente à la Fifa et joue un tournoi sous une contrainte extrême et voici la Fifa qui tourne le dos.»
La Fifa ne s’attaquera jamais aux États-Unis et à l’Europe
Le journaliste américain considère que se sont les intérêts personnels qui motivent les réactions de M. Infantino: «Le silence et la vénalité d’Infantino sont accablants. Il tiendra tête à l’Occident pour les milliards du Qatar mais pas pour un peuple qui a désespérément besoin de courage et de voix. Il montre clairement par ses actions que la Fifa ne s’attaquera pas aux États-Unis et à l’Europe alors que cela pourrait affecter les résultats financiers. Le prix de l’autocensure de la Fifa a été mis en lumière cette semaine après qu’Israël a tué Mohammed Barakat, membre vedette de l’équipe nationale palestinienne. Dans une vidéo largement vue sur les réseaux sociaux, Barakat a filmé ses derniers mots publics alors qu’il entendait les frappes aériennes israéliennes se rapprocher. Il a dit en partie: ‘‘Peut-être que la vie est terminée ou peut-être qu’il y a encore de la vie devant nous et seul celui qui connaît l’Inconnaissable des cieux et de la terre le détermine… Alors je demande votre pardon et vos prières… Ma mère, mon père, mes enfants, par Allah, vous m’êtes chers et précieux… Je vous confie à Allah dont la confiance n’est jamais perdue… Je conclus ici…vos prières… C’est ici que je termine’’.»
Des centaines de footballeurs palestiniens tués par Israël
Connu comme la «légende de Khan Younis», Barakat, 39 ans, a été le premier joueur de la ligue palestinienne de Gaza à marquer 100 buts. Il a également joué pour le club Al-Wahdat en Jordanie (club traditionnellement soutenu par les Jordaniens d’origine palestinienne, Ndlr) ainsi que professionnellement en Arabie Saoudite. Rien de tout cela n’avait d’importance puisqu’Israël a frappé la maison de la famille de Barakat le premier jour de jeûne du mois sacré islamique du Ramadan.
Selon l’Association palestinienne internationale de football, Barakat n’est que l’un des centaines de joueurs palestiniens de tous les niveaux qui ont été tués par les attaques israéliennes. Israël a même tué Hani Al-Masdar, l’un des plus grands joueurs palestiniens et manager de l’équipe olympique en janvier et pourtant la Fifa n’a rien dit.
Dave Zirin poursuit son analyse désabusé: «Cela ne devrait peut-être pas être trop surprenant. Personne ne devrait jamais se tourner vers la Fifa ou Infantino pour obtenir des conseils moraux. Pourtant, nous devrions quand même exiger que la Fifa s’exprime. La Fifa représente le sport le plus populaire au monde et elle a la responsabilité comme Infantino a tenté de le faire comprendre de représenter tout le monde. La Fifa possède un pouvoir qui pourrait être une force d’unité et de justice. Toutefois, la solidarité mondiale d’Infantino ne s’étend clairement pas aux Palestiniens. Lorsque nous parlons de déshumanisation du peuple palestinien, le silence de la Fifa fait partie de ce qui en fait une réalité. Cette déshumanisation est une condition préalable aux soldats de Tsahal qui dansent, aux fêtes avec des maisons gonflables qui bloquent l’aide alimentaire, aux rappeurs israéliens qui chantent des hymnes au génocide et à toutes les autres horreurs qui en découlent. Nous devons nous rappeler qui a choisi de parler et qui est resté silencieux mais nous devons également faire pression sur ceux qui sont silencieux pour qu’ils élèvent la voix. Dans les semaines à venir, on se souviendra d’Infantino pour ce qu’il dit et pour ce qu’il ne dit pas.»
Les carriéristes du football mondial n’ont qu’une seule «valeur» : l’argent
Dave Zirin met le doigt là où ça fait mal. Ceux qui sont surnommés «les puissants de ce monde» réagissent selon leurs intérêts personnels et leurs calculs de carrière mais quand une réaction aussi juste soit-elle peut nuire à leur carrière, ils s’abstiennent et se murent dans le silence. Le surnom des «carriéristes de ce monde» ou des «hypocrites de ce monde» leur sied davantage que celui de «grands ce monde» car depuis plus de cinq mois de génocide à Gaza, il n’y a que la petitesse qui prévaut chez les personnes influentes des différentes sphères. La grandeur leur fait défaut.
Il est à signaler que l’agence de presse palestinienne Wafa a indiqué dans la nuit du mardi 19 mars 2024 que «la Fédération palestinienne de football a soumis une demande officielle à la Fédération internationale de football (Fifa) pour inscrire un point à l’ordre du jour du prochain Congrès de la Fifa qui se tiendra dans la capitale thaïlandaise Bangkok le 17 mai prochain pour mettre fin aux violations de l’occupation israélienne contre les sports palestiniens. La proposition soutenue par six associations membres appelle la Fifa en tant qu’organisation internationale chargée de réglementer et de gérer le football à respecter ses obligations internationales en matière de droits de l’homme et de droit international humanitaire comme le stipule expressément plusieurs clauses de son statut en prenant position sur les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par Israël dans la guerre de génocide qu’il mène contre notre peuple palestinien et la complicité pratiquée par la Fédération israélienne de football en continuant d’inclure dans la Ligue nationale israélienne des équipes de football situées dans des colonies illégales des territoires occupés de Palestine.»
C’est là une façon de mettre Gianni Infantino et les carriéristes de l’instance mondiale du football devant leur responsabilité mais vont-ils finir par être acculés de réagir? Il faudra attendre le 17 mai prochain. D’ici là, Israël continuera de massacrer les Palestiniens et l’omerta de la Fifa se poursuivra.
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