Mohamed Aziza dit Chams Nadir est poète, narrateur, essayiste et universitaire tunisien. Né en 1940 à Tunis, il a occupé de hautes fonctions à l’Oua et à l’Unesco. Et animé longtemps l’Université euro-arabe.
Voix importante de la création tunisienne et francophone, l’œuvre de Chems Nadir mêle, avec connivences et croisements culturels, références arabo-musulmanes, africaines et occidentales, où s’interpénètrent intérêt poétique, narration, image et art dramatique.
La réécriture de l’héritage culturel classique enrichit une expression volontairement installée dans la modernité, dans un dialogue permanent, intime, collectif, savant, exigeant et en quête de valeurs universelles.
Quelques titres : Le silence des sémaphores, 1978 ; L’astrolabe de la mer, 1980 ; Le livre des célébrations, 1983 ; Les portiques de la mer, 1990 ; Planisphère intime, 2018.
Tahar Bekri
Mohamed Aziz, ici à droite de Amin Maalouf, à la 1ère Université euro-arabe à Hammamet en 1986.
Un masque m’échut aux prémices du monde
Et mon souffle impuissant s’épuisa longtemps
Aux frontons de la gloire romaine.
Ô ma sève, ma sève numide
Comment te retrouver dans la forêt pétrifiée
Des signes indéchiffrables et des pistes effacées
Si je viens à arracher mon masque
Ma chair partirait en lambeaux.
*
Grands jardins rêveurs de l’enfance
Des eaux secrètes, bleu-argent, les filets n’ont retiré
qu’une lune défunte et des cerfs-volants grimaçants.
Longtemps j’ai couru sur la plage, derrière le cirque ambulant,
Ses acrobates et ses clowns pailletés.
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Mais, caché entre les tombes du cimetière marin,
je n’ai pu qu’assister à leur embarquement
sur un bateau lentement dissous dans la brume.
*
Le dédale de tes rues
M’a happé dans ses méandres
Maudite ville carrée.
Tu m’étreins dans la rouille de mes échecs
Tes tours infranchissables
Interdisent toute évasion.
*
Clameur de l’exil au rivage des Syrtes !
Le temps est venu de déserter ce jardin du mirage.
Sur trop de mensonges, je m’étais assoupi
De trop d’ossuaires, je m’étais amusé.
Sur les grèves de rocailles et d’amiante,
L’oiseau des îles a terni son somptueux plumage
La jungle malhabile a banni la résurgence des eaux
Et les lianes sauvages ont étranglé les orchidées.
Alors j’ai déployé mes voiles aux vents des départs.
Laboure, ô proue, le champ fertile où rêvent les méduses
Jaillissent l’embrun et les spasmes de l’éclair
A grandes eaux salées, lavez mes yeux d’un songe trop vivace
Ô trombes des profondeurs !
*
Toujours, il y eut l’errance et toujours le vent
Et l’exultation des sables en vaines armées de cristaux
Et l’abri humide des cavernes au flanc des steppes de l’exil
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Et toujours, la nudité des touffes, au creux de l’été proféré
Toujours, toujours, le rêve tenace et fragile
D’une rive où aborder pour renaître
Nu et réconcilié et vivant.
*
J’avais rendez-vous avec l’Aube
Sur l’autre versant de la Colline
Sur l’autre rive du Fleuve
Là où palpite, clarté sans torche,
La rose noire du Signe.
*
Sous les griffes du vent
Sous l’étirement du soir
Je devançais mon ombre
Ecoutant le vent des sphères supérieures
Sculpteurs de nuages
Le vent sur l’ondulation des sables
Architecte d’éternités.
*
Violent comme le souffle de Vulcain
Doux comme le soupir de la Vierge d’ébène
Accordé comme le fil du Tisserand
Strident comme le cri de Prométhée
Sur toute terre, sur toutes eaux
Dans l’obscur et dans l’éclat
Le vent en ses métamorphoses.
*
Dans les plaines, l’ondulation blonde
Des récoltes qui lèvent.
Sous terre, la flamme assourdie
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Des stalactites et des gemmes.
Dans les nasses ruisselantes
La moisson des poissons qui palpitent.
Dans les enclos, le souffle brumeux
Des bêtes qui s’éveillent.
Le sang de la vigne pour le rêve
Le pulpe des fruits, comme une vulve,
Pour la durée.
J’ai rendez-vous avec l’Aube.
Aux mains du Scribe, la rose sur l’argile
Trace le calligramme tremblé
Comme un essaim sur ma tête
Et dans l’azur, se déployant à tire d’ailes.
L’oiseau et sa trace.
Il advint que je rencontre, par les nuits phosphorescentes
Des troupeaux chevelus d’hippocampes en dérive
Des rêves de corail aux œillades amènes
Et des torpilles blafardes en forme d’anagrammes.
Quand l’ombre vient à son acmé
Sertissant le ciel de sa jonchée d’étoiles
La vigie n’a plus pour compagnon
Que le vent et la nostalgie des côtes
Et le timonier à son gouvernail
Sait se rendre sourd
Au chant des sirènes.
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*
J’amerris en d’étranges rivages.
Sur fond de ciel maussade
Se dressent les Sept Portes du Couchant
Et, derrière chacune d’elles,
Les Sept Dormants d’Éphèse.
Silence des Sémaphores
Dans la négation de l’espace et du temps.
Il nous faut recoudre le temps
Nous avons charge de soutenir
Le globe désaccordé
Non plus de suivre sur le cadran solaire
L’allongement de l’ombre de la tige
Ni d’interroger nos astrolabes
Sur le secours des étoiles.
*
Rambarde bouclée,
Apparaux et aussières largués
J’appareille pour le Jardin
D’entre les mers
Pour tenter d’arrêter l’écoulement du sablier
Vers l’heure farouche
Où le jour rend gorge à la nuit
(Remerciements à l’auteur)
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