La plongée sous-marine est désormais considérée dans le monde comme produit écotouristique. Malheureusement, en Tunisie, elle est encore un complément au tourisme balnéaire, un produit d’animation et non une offre touristique à part entière. Rares sont les personnes qui viennent en Tunisie spécialement pour la plongée.
Mohamed Mehdi Tabbakh *
La Fédération des activités subaquatiques de Tunisie (FASST) n’offre malheureusement pas de chiffres concernant le nombre de licenciés ou de formés, mais ce qui est clair, avec une vingtaine de structures associatives et commerciales, l’engouement local envers cette activité est de plus en plus croissant.
Les clubs de plongée peuvent jouer un rôle crucial dans l’essor de l’écotourisme en Tunisie. Ils ont la possibilité d’offrir une opportunité unique de valoriser le patrimoine subaquatique tout en promouvant des pratiques durables et respectueuses de l’environnement. La synergie entre tourisme, pratique et conservation contribue de manière significative au développement d’un modèle économique durable.
Valorisation du patrimoine subaquatique
Le patrimoine culturel subaquatique exceptionnel de la Tunisie est dû à ses côtes riches en histoire. Les clubs de plongée qui longent toutes les côtes tunisiennes, de Tabarka à Djerba, sont au cœur de la mise en valeur de ce trésor civilisationnel, offrant aux visiteurs une expérience immersive unique.
De 2007 à 2013, une collaboration avec l’Institut national du patrimoine (INP) et l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), a permis de mettre en place six itinéraires culturels subaquatiques, qui ont été aménagés le long des côtes de Tabarka, de l’île Pilau et de Kélibia.
Ces parcours sont développés dans le cadre d’un projet tuniso-italien (Culturas). En théorie, les plongeurs pourraient explorer des épaves et des vestiges submergés datant de différentes périodes historiques, de l’Antiquité aux guerres mondiales, grâce à ces itinéraires subaquatiques. Malheureusement, la gestion post-projet a mis en cause leur pérennité, aussi, la complexité des démarches bureaucratiques a fait que ces tentatives sont restées dans un stade expérimental.
Promotion de l’écotourisme
Les clubs de plongée tunisiens sont de plus en plus conscients de leur rôle dans la promotion de l’écotourisme.
Certains organisent des événements pour la promotion de l’écosystème subaquatique comme le Festival Trapanis de la photographie sous-marine organisé par le club Cap Afrique.
D’autres en revanche, affiche clairement leur adoption de pratiques respectueuses envers l’environnement en organisant des actions de nettoyage périodiques, s’inspirant du World Clean up Day, et ceci en collaboration avec des structure de la société civile. Parmi ces club : Ras Adar Diving Club à Haouaria, Mouja Diving Club à Cap Zebib et Abysse Plongée à Ghar El-Melh.
Toutes ces actions, peuvent contribuer non seulement à la préservation de l’environnement marin et à la promotion d’un écotourisme, mais aussi à renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté engagée derrière les Objectifs du développement durable (ODD).
Impact économique et social des clubs de plongée
Les clubs de plongée contribuent à diversifier l’offre touristique en proposant des produits centrés sur la découverte du patrimoine subaquatique et la conservation marine. Cette diversification peut attirer une nouvelle clientèle, locale et étrangère, qui cherche la pratique d’une activité peu commune.
Le concept du «bronze bête» a été trop souvent associé au tourisme tunisien, la notion du «plonge bête» ne doit pas s’ancrer dans le subconscient des passionnés.
L’installation d’un club de plongée dans une ville crée des opportunités d’emploi pour les populations locales, que ce soit directement dans les clubs de plongée (services communs, équipage, divemaster, moniteurs), ou indirectement dans les services associés (hébergement, restauration, transport).
Les clubs de plongée peuvent jouer un rôle important dans la sensibilisation des communautés locales à l’importance de leur patrimoine marin, et au développement d’un écotourisme équitable. Des programmes éducatifs peuvent être développés, en concours avec les commissariats régionaux de l’éducation, pour les jeunes et les enfants des régions concernées.
Les pêcheurs et autres intervenants peuvent aussi bénéficier d’actions de sensibilisation envers la protection de l’environnement sous-marin comme vecteur de l’écotourisme.
Les commissariats régionaux du tourisme devraient se pencher encore plus sur le rôle que peut jouer les clubs de plongée à l’instar des maisons d’hôtes.
Défis, opportunités et réglementations
La réglementation nationale pour la création des centres de plongée est régie par le code des sociétés commerciales. Cependant, la pratique de la plongée pour les entreprises est soumise à une autorisation, et non pas un cahier des charges, accordée par le gouverneur de la région. Le chemin pour avoir cette autorisation, se révèle comme un réel parcours du combattant, et qui peut dans beaucoup de cas ne pas aboutir. Nous citons ici le cas très connu de Ghanem Maaroufi, un jeune investisseur, qui a débloqué un montant qui dépasse 1 million de dinars pour le déploiement d’une base nautique et un centre de plongée dans la région de Tabarka. Un dossier déposé depuis septembre 2020, et qui n’a, jusqu’à ce jour-ci, pas vu le bout du tunnel.
Une révision en profondeur des textes de loi devrait se faire pour faciliter l’investissement dans ce genre d’activité (Tabbakh, 2024).
Il est nécessaire de définir plus précisément ce qu’est un «opérateur de plongée éco-responsable» et d’établir des normes claires pour l’écotourisme de plongée. Cette standardisation permettrait de garantir des pratiques durables et de faciliter la promotion de ces activités auprès des touristes soucieux de l’environnement. Dans ce cadre un plan de renforcement des capacités soutenu par l’ONTT serait un levier dans ce sens.
Le succès de l’écotourisme de plongée peut dépendre d’une collaboration étroite entre les clubs de plongée, les unités d’hébergement (FTH), les tours opérateurs (FTAV), les autorités locales, les institutions de conservation (INP) et les communautés. Renforcer ces partenariats est essentiel pour maximiser les bénéfices économiques et environnementaux.
Par ailleurs, les clubs de plongée doivent continuer à développer leur activité et innover, que ce soit dans le marketing pour la valorisation du patrimoine ou dans le développement de nouveaux produits en relation avec leur activité. Cette innovation est cruciale pour maintenir l’attrait de la destination et répondre aux attentes croissantes des éco-touristes.
Dans le monde, la plongée est devenue une «industrie» à forte valeur ajoutée. Analyser les expériences similaires, serait un point de départ pour mettre en place une stratégie à long terme. Voir ce qui ce passe en Jordanie, en Egypte, ou même en Thaïlande, au Mexique et en Australie, pourrait aider fortement la croissance de ce secteur. Faire appel d’une manière collégiale à des bureaux d’étude spécialisés peut fournir un plan stratégique et un plan d’action à moyen et à court terme pour les clubs de plongée.
Alors que la demande pour des expériences de voyage plongée continue de croître dans le monde, le potentiel de l’écotourisme de plongée en Tunisie reste considérable.
En relevant les défis actuels et en saisissant les opportunités offertes par le climat et la richesse subaquatique, les clubs de plongée peuvent jouer un rôle encore plus important dans le développement de l’écotourisme tunisien, tout en préservant les trésors naturels et culturels du pays pour les générations futures.
* Moniteur et spécialiste de la plongée sous-marine à Mouja Diving Club. Auteur du livre ‘‘L’effet Dunning-Kruger en plongée sous-marine : entre mythe et réalité’’.
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